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et la porte secrètement dans sa maison de Bologne. Messire Gentil avait encore sa mère, femme vertueuse et sage, qui, ayant appris toute cette histoire de la bouche de son fils, touchée de compassion, rendit, avec l’aide d’un bain et d’un grand feu, la vie à madame Catherine. Celle-ci ouvre, en soupirant, ses yeux, qu’elle promène avec étonnement de tous côtés. « Hélas ! où suis-je ? — Soyez tranquille, lui répondit la bonne dame, vous êtes en un lieu sûr. » Ayant enfin recouvré tous ses sens et toute sa connaissance, ne sachant pas encore où elle était, et voyant messire Gentil devant elle, elle demanda par quelle aventure elle se trouvait là. Messire Gentil lui conta tout fidèlement. Elle se plaignit d’abord ; mais, après y avoir mieux songé, elle lui fit de grands remercîments ; puis elle le pria, le conjura, par l’amour même qu’il avait toujours eu pour elle, de ne rien faire qui pût blesser son honneur et celui de son mari, et de permettre que le lendemain matin elle retournât chez elle. « Madame, répondit l’amoureux chevalier, puisque le ciel m’a fait la grâce de vous arracher à la mort et de vous rendre à la vie, soyez persuadée que, quoique j’aie fortement désiré votre possession, je n’userai jamais des droits que ce bienfait peut me donner sur vous, et que je saurai vous respecter. Mais, comme ce que j’ai fait pour vous mérite quelque récompense, voici celle que je désire et que je vous prie de m’accorder. » La dame l’interrompit pour lui dire qu’elle était prête d’accorder tout ce qui serait honnête et possible. « Madame, ajouta Gentil, tous vos parents et tous les habitants de Bologne vous croient réellement morte : ainsi, personne ne vous attend chez vous ; la grâce donc que je vous demande est que vous consentiez à rester ici secrètement avec ma mère jusqu’à mon retour de Modène, ce qui ne sera pas long. Je vous demande cette grâce, parce que j’ai dessein de vous rendre à votre mari en présence des principaux citoyens de cette ville, et de l’obliger à reconnaître que je lui fais le plus beau et le plus agréable présent qu’il puisse recevoir. »

Cette demande, qui n’avait rien que d’honnête, fut agréée par madame Catherine, cependant avec un peu de répugnance ; car elle désirait fort de répandre la joie dans le sein de sa famille par la nouvelle de sa résurrection. Quoi qu’il en soit, elle donna sa parole à messire Gentil d’exécuter ce qu’il désirait.

Quelques moments après cet entretien, elle sentit les douleurs de l’enfantement, et, avec l’aide de la mère du chevalier, elle accoucha sans peine d’un beau garçon, ce qui augmenta beaucoup sa satisfaction, et celle de son amant, qui donna ordre qu’on lui fournît toutes les choses nécessaires, et qu’on la traitât comme si c’était sa propre femme. Il partit ensuite secrètement pour Modène. Quelque temps après, étant sur le point de quitter cette ville, il manda à sa mère qu’on préparât dans sa maison, pour le jour de son arrivée, un grand festin, et la pria d’y inviter plusieurs gentilshommes, entre autres Nicolas Chassennemi.