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personne ne dise au jeune homme qu’il fût Nathan. Ensuite il le conduisit dans une belle chambre où il n’était vu que de ceux qui avaient ordre de le servir. Il lui fit faire ensuite de grands honneurs et lui tint lui-même compagnie. Quoique Mitridanes respectât Nathan inconnu comme un vénérable vieillard, il lui demanda cependant qui il était. « Je suis, répondit-il, un petit serviteur de Nathan ; je le sers dès ma plus tendre jeunesse, sans qu’il m’ait élevé à autre chose qu’à ce que vous voyez ; de sorte que, lorsque tout le monde se loue de lui, moi, je pourrais m’en plaindre. »

Ce discours donna à Mitridanes l’espérance d’obtenir des secours et des facilités pour l’exécution de son mauvais dessein. Nathan lui demanda à son tour, le plus honnêtement du monde, qui il était et quelles affaires l’attiraient dans le pays, lui offrant ses conseils et ses services dans tout ce qui dépendrait de lui. Mitridanes réfléchit un peu avant de répondre ; mais enfin, résolu de lui donner toute sa confiance, il lui fit un long discours pour s’assurer de sa fidélité, et, après l’avoir entretenu du sujet de son voyage et lui avoir dit son nom et son état, il finit par lui demander ses conseils et son secours. Nathan fut surpris et effrayé d’une pareille résolution ; mais, s’étant bientôt remis, il lui dit avec fermeté, d’un front serein : « Né d’un père qui n’était point gentilhomme, et qui s’honora peu par les grandes qualités du cœur, je vois, mon cher Mitridanes, que vous ne voulez point imiter son exemple, puisque vous vous faites un devoir d’exercer la libéralité envers tout le monde. Je vous loue de porter envie à la vertu de Nathan, parce que, s’il y en avait beaucoup qui lui ressemblassent, la misère disparaîtrait de la terre, et il n’y aurait plus moyen de s’illustrer par la bienfaisance. Vous pouvez compter que ce que vous m’avez confié demeurera secret ; mais je dois vous prévenir que je puis mieux seconder votre projet par mes conseils que par mes secours. Voyez ce petit bois, qui n’est guère éloigné que d’un quart de lieue : Nathan va s’y promener presque tous les matins ; il vous sera facile de l’y surprendre seul et de faire de ce bonhomme tout ce que vous voudrez. Si vous le tuez, il ne faudra pas vous enfuir par le même chemin que vous avez pris en venant, mais vous retirer par celui que vous voyez à main gauche, et qui mène hors du bois. Il est moins fréquenté que l’autre ; cependant c’est le plus court et le plus sûr pour vous en retourner. » Mitridanes, ainsi instruit, fit savoir à ses gens dans quel endroit il voulait qu’ils l’attendissent le lendemain.

Le jour ne fut pas plutôt venu que Nathan, invariable dans ses sentiments, et peu attaché à une vie dont il était toujours prêt à rendre compte au maître des destinées, se rendit seul au petit bois, pour y recevoir la mort. Le jeune homme, de son côté, prend son arc et son épée, car il n’avait point d’autres armes, et se rend au même lieu. Il aperçoit Nathan qui se promène seul. Désirant de le voir et de lui parler avant de l’attaquer, il court à lui, le saisit,