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l’agrément du pape, il partit en grande pompe et avec un train nombreux de chars, d’hommes et d’animaux, sans trop s’inquiéter de ce qu’on disait de Guinot.

Celui-ci, instruit du voyage du prélat, tendit ses filets, et l’enferma si bien dans un lieu fort étroit, lui et son train, qu’il n’en échappa point un seul valet. Ensuite il lui députa un de ses principaux officiers, qui lui dit fort civilement, de sa part, qu’il le priait de venir descendre chez lui. L’abbé répondit en colère qu’il ne le ferait pas, qu’il n’avait rien à démêler avec Guinot ; qu’il passerait outre, et qu’il n’y avait personne assez hardi pour s’opposer à son passage. Le député lui répliqua respectueusement qu’il était en un lieu où l’on ne reconnaissait de force supérieure que celle de Dieu même, et où les excommunications, les interdictions étaient méprisées et de nul effet : « Ainsi, je crois, monsieur, continua-t-il, que le parti le plus sage que vous ayez à prendre est de vous rendre de bonne grâce à l’invitation de Guinot. »

Pendant cette petite conférence, arrive une troupe de satellites, qui environnent monsieur l’abbé et le forcent de prendre, avec tous ses gens et son bagage, le chemin du château. Dès qu’il y fût arrivé, on le logea, selon les ordres qui avaient été donnés, dans une petite chambre fort étroite et fort obscure, tandis qu’on donna à toutes les personnes de sa suite un appartement commode et proportionné à leur qualité. Après qu’on eût mis en sûreté les mulets, les chevaux et le reste de l’équipage, Guinot alla trouver monsieur l’abbé, et lui dit : « Guinot, monsieur, dont vous êtes l’hôte, m’envoie vous prier d’avoir la complaisance de lui déclarer le but et le sujet de votre voyage. » L’abbé, à qui l’expérience du malheur avait déjà donné un peu de sagesse et de modestie, répondit à tout sans se faire prier.

Il vint alors en tête à Guinot de guérir lui-même l’abbé sans lui faire prendre de bain. Il eut soin qu’on entretînt un grand feu dans sa petite chambre, et qu’on veillât exactement à sa porte, avec défense de laisser entrer personne. Il ne retourna le voir que le lendemain matin, lui apportant une serviette propre, deux tranches de pain rôti et un grand verre de verdie de Cornilie, puisé dans la provision même de l’abbé. « Monsieur, lui dit-il après les premières salutations, Guinot, dans sa jeunesse, étudia en médecine, et il prétend qu’il n’y a point de meilleur remède pour l’estomac que celui qu’il veut vous faire. Ce que je vous présente en est un commencement ; prenez-le donc, et vous fortifiez. L’abbé, que la faim sollicitait plus vivement que le désir de causer, mangea et but avec plaisir, quoiqu’il eût l’air de le faire avec dédain. Ensuite il tint beaucoup de propos qui sentaient la fierté, fit plusieurs plaintes, plusieurs questions, et demanda, entre autres choses, à voir Guinot, qui regarda une partie de ces discours comme autant de paroles vaines qui méritaient peu son attention. Il répondit aux autres choses fort civilement, et l’assura que Guinot se ferait un plaisir