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NOUVELLE IX

LES CONSEILS DE SALOMON

Le bruit de la miraculeuse sagesse de Salomon s’était répandu par tout l’univers : on savait aussi qu’il ne dédaignait pas d’en donner des preuves à quiconque lui en demandait ; de tous côtés on venait à lui, on le consultait sur les affaires les plus urgentes et les plus épineuses. Un jeune gentilhomme de la ville de Lajazze, nommé Mélisse, se mit en route pour le voir. Il rencontra, chemin faisant, un autre jeune homme, nommé Joseph, qui allait aussi à Jérusalem pour le même sujet. Il l’aborde, entre en conversation avec lui ; l’interroge sur sa naissance, sa patrie, sa condition, le but et l’objet de son voyage. Joseph répondit qu’il allait consulter Salomon sur la conduite qu’il devait tenir envers la femme la plus difficile, la plus désagréable, la plus méchante qui fut jamais, et sur qui, prières, menaces, caresses, flatteries, n’avaient pu jusqu’alors faire aucune impression. Mélisse, interrogé à son tour par Joseph, comme il l’avait interrogé, répondit : « Je suis de Lajazze, jeune, riche, généreux, tenant bonne maison, faisant honneur à tous mes concitoyens, et je suis aussi malheureux que vous ; malgré toutes mes dépenses, je n’ai pu trouver encore un ami. Je vais, comme vous, voir Salomon, et lui demander le moyen d’être aimé. »

Arrivés à Jérusalem, tous deux sont conduits devant le roi. Mélisse parut le premier, et conta son histoire. « Aime, » répondit Salomon. Il sortit après cette courte réponse. Joseph vient, représente son malheur : « Va-t’en au Pont aux oies ; » ce fut le seul conseil qu’il put obtenir. Tous deux s’étant rejoints, ils se communiquèrent les réponses qu’on leur avait faites, et les regardaient comme des énigmes, dont ils ne pouvaient trouver le mot, ou des paroles vagues qui, n’ayant aucun rapport à leurs affaires, semblaient avoir été proférées pour se moquer d’eux. Très-mécontents de leur voyage, ils quittèrent donc Jérusalem, et reprirent le chemin de leur pays.

Après quelques jours de marche, ils arrivèrent à une rivière profonde sur laquelle était un pont magnifique. Dans ce moment passait un grand convoi de chevaux et de mulets chargés qui leur fermaient le passage. Ils furent contraints d’attendre. Tout avait défilé, il ne restait plus qu’un mulet ombrageux qui ne voulait plus avancer. Le muletier prend un bâton, le frappe d’abord assez doucement ;