Page:Boccace - Contes de Boccace, trad De Castres, 1869.djvu/553

Cette page n’a pas encore été corrigée

lui parlerai. » Quand Blondel fut parti, Chiaque le suivit de loin pour être témoin de l’aventure, Messire Philippe, qui n’avait pu attraper le gagne-denier, était encore tout bouillant de colère, ne pouvant rien comprendre dans le message que Blondel lui avait adressé, sinon qu’il avait voulu se moquer de lui. Différentes pensées l’agitaient sur ce sujet, lorsque Blondel entra. Dès que Philippe l’aperçoit, il s’élance vers lui, et débute par lui appliquer un grand coup de poing sur le nez. « Dieu ! s’écrie Blondel, étourdi de cette réception inattendue, que signifie cela, monsieur ? » Philippe le prend par les cheveux, lui arrache sa coiffe, jette son capuchon par terre, et le frappant rudement : « Traître, je t’apprendrai ce que cela signifie. Mais voudrais-tu bien m’expliquer toi-même ce que veulent dire cet enrubinement et ces amis, et tout ce que tu m’as envoyé dire ? Me prends-tu pour un enfant ? penses-tu t’amuser de moi ? » Tout en disant cela, il faisait tomber sur le visage du pauvre Blondel une grêle de coups ; il arrachait ses cheveux, le traînait par terre et déchirait son habit. Il était si occupé de cette besogne, que jamais Blondel ne put lui faire entendre un seul mot, ni lui demander la raison de cet étrange traitement. Les mots d’amis, d’enrubinement avaient frappé son oreille ; mais de quoi l’instruisaient-ils ? Les voisins, qui étaient accourus, mirent enfin un terme à la fureur de Philippe, en lui arrachant des mains le malheureux Blondel. Ce fut alors qu’on l’instruisit des raisons qui avaient allumé une si grande colère ; pour le consoler, on lui fit quelques remontrances, on tâcha de lui faire sentir combien il était dangereux de se jouer à messire Philippe, et on lui recommanda de n’y plus revenir ; Blondel, tout en larmes, jurait que jamais il n’avait envoyé cherché de vin chez messire Philippe. Quoi qu’il en soit, il garda les coups et les remontrances.

Il ne fut pas longtemps à imaginer que cette aventure était un coup de vengeance de la part de Chiaque. Mais, comment lui riposter ? se tenir coi, ne dire mot était le parti le plus sage, et ce fut celui qu’il suivit. Il garda la maison jusqu’à ce que l’empreinte des poings de messire Philippe fût effacée. À sa première sortie, il rencontra Chiaque. « Eh bien, Blondel ! lui dit celui-ci, en riant, comment as-tu trouvé le vin de messire Philippe ? — Que n’as-tu trouvé de même les lamproies de messire Corse ! — Quand tu voudras me donner un dîner semblable à celui que tu m’as fait faire chez lui, je te donnerai à boire comme tu as bu chez messire Philippe. »

Blondel, qui vit bien qu’il n’y avait rien de bon à gagner en luttant contre Chiaque, pria Dieu de faire sa paix avec lui. Dans la suite, il eut grand soin de ne pas se moquer de lui.