Page:Boccace - Contes de Boccace, trad De Castres, 1869.djvu/550

Cette page n’a pas encore été corrigée

conseille de nouveau de ne pas sortir aujourd’hui de la maison, ou du moins de ne pas aller dans le bois. — Je ferai précisément tout le contraire ; mon projet était d’y aller, et je n’y manquerai pas. »

Comme cette femme empoisonnait les meilleures intentions, elle se figura que son mari ne voulait l’empêcher d’aller au bois que parce qu’il devait avoir fait quelque partie fine dont il voulait lui dérober la connaissance. « Peut-être y a-t-il donné rendez-vous à quelque femme débauchée, disait-elle en son intérieur : le bonhomme serait bon en un moulin avec des aveugles ; moi, qui ne suis point aveugle, je ne serai pas sa dupe. Je me garderai bien de le croire ; je veux tout voir, tout connaître, et dussé-je rester au bois tout le jour, je saurai quelle espèce de tour il voulait me jouer. »

D’après cette résolution, dès que son mari fut sorti, elle part et arrive au bois ; elle choisit l’endroit le plus épais, s’y cache, fait attention au moindre bruit, et regarde de tous côtés si elle ne voit venir personne. Tandis que, sans crainte et sans défiance, elle attendait avec sécurité l’événement de sa ruse, arrive d’un prochain taillis un loup d’une taille énorme et d’un regard terrible. Cet animal féroce s’élance aussitôt sur elle, la saisit par la gorge et l’emporte comme un faible agneau ; elle n’a ni la force ni le courage de lui opposer la plus légère résistance. Le loup l’eût sûrement étranglée, si des bergers, qui l’aperçurent, ne l’eussent obligé par leurs cris à lâcher sa proie. Ces bergers accoururent et, l’ayant reconnue, quoiqu’elle fût fort défigurée, ils la portèrent dans sa maison. Elle fut longtemps malade ; mais enfin elle guérit par les soins de son mari, qui fit venir les plus habiles chirurgiens et médecins des environs. Leur art ne put cependant effacer les traces que la dent du loup avait laissées sur sa gorge et sur son visage, de sorte que sa beauté en fut extrêmement altérée. Honteuse de reparaître, après cette triste catastrophe, elle pleura souvent, dans la solitude à laquelle elle s’était condamnée, son entêtement, et se sut bien mauvais gré de n’avoir pas ajouté foi au songe de son mari.