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et, après avoir bu avec lui et chargé leurs chevaux, nos deux amis prirent le chemin de Florence. Ils étaient presque aussi contents de la tournure singulière que leur aventure avait prise que de l’aventure elle-même. Dans la suite, Pinuccio et Colette prirent d’autres moyens pour se voir fréquemment. La jeune fille fit croire à sa mère qu’en effet Pinuccio avait songé ; en sorte que cette bonne femme crut avoir veillé toute seule.


NOUVELLE VII

LE SONGE RÉALISÉ

Peut-être connaissez-vous Talan de Môle, homme d’une honnêteté reconnue. Il avait épousé une jeune fille, nommée Marguerite, qui le disputait en attraits à toutes celles de son sexe ; mais les défauts de son caractère étaient bien capables d’affaiblir l’impression de sa beauté. Fantasque, opiniâtre, inflexible et revêche, voilà son portrait au naturel. Personne ne faisait rien à son gré, il suffisait qu’on lui conseillât une chose pour qu’elle fît tout le contraire. Je vous laisse à penser si elle devait faire le bonheur de son mari ; comme il ne voyait point de remède à sa mauvaise humeur, il se fit un devoir de la supporter du mieux qu’il pouvait. Or, il arriva qu’étant avec cette espèce de mégère dans une belle maison de campagne qui lui appartenait, il songea une nuit qu’il voyait Marguerite se promenant dans un bois voisin du château, et, qu’après y avoir fait quelques tours, un loup monstrueux s’élançait sur elle, la prenait par la gorge, l’emportait, quoiqu’elle criât au secours de toute sa force, et que, l’ayant enfin lâchée, il lui avait laissé la gorge et le visage tout défigurés. Effrayé de ce songe, dès qu’il fut levé : « Ma femme, lui dit-il, quoique, grâce à ton mauvais caractère, il ne m’ait pas encore été permis de goûter un jour de bonheur avec toi, je serais cependant fâché qu’il t’arrivât quelque fâcheux accident. Si donc tu veux m’en croire, tu ne sortiras pas de la maison aujourd’hui. » Elle lui en demande la raison, et Talan lui fait part de son rêve. Au lieu d’être touchée des tendres alarmes de son mari : « Qui mal veut, mal songe, lui répondit-elle, en secouant la tête. Tu feins de m’aimer, de t’intéresser à mon sort, mais je lis dans ton cœur : tes rêves ne sont que l’expression de ce que tu me souhaites ; et je ferai en sorte de ne pas te donner cette satisfaction, ni aujourd’hui, ni jamais. — Je prévoyais ta réponse ; car, à laver la tête d’un âne, on perd sa lessive. Interprète mon songe comme il te plaira, peu m’importe ; mais je te