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pensions aller coucher à Florence, mais nous avons eu beau piquer nos montures, il ne nous a pas été possible d’aller plus loin. — Vous savez, monsieur, répondit l’hôte, qu’il ne m’est guère possible de loger des voyageurs de cette espèce ; cependant, puisque la nuit vous a surpris ici, et que vous ne pouvez aller plus loin, je ferai tous mes efforts pour vous héberger de mon mieux. » Le premier soin des deux jeunes Florentins, après avoir mis pied à terre, fut de songer au souper de leurs chevaux ; ils s’occupèrent auprès du leur, et firent manger l’hôte avec eux.

Il n’y avait dans l’hôtellerie qu’une très-petite chambre, et dans cette petite chambre trois petits lits, rangés de manière à occuper le moins de place possible. Deux étaient adossés à un même côté du mur, et le troisième, qui faisait le triangle, était en face de ceux-là. L’hôte fit préparer le moins mauvais pour les étrangers. Dès qu’ils furent endormis, ou plutôt qu’ils feignirent de l’être, l’aimable Colette fut se coucher vis-à-vis d’eux ; les époux occupèrent le lit restant, à côté duquel la mère avait placé le berceau de son enfant. Pinuccio, à qui rien de cela n’était échappé, et croyant tout le monde endormi, se lève doucement, va droit au lit de sa maîtresse, qui le reçut non sans quelque frayeur, mais avec beaucoup plus de plaisir encore, et il jouit de tous les droits d’un amant aimé.

Tandis qu’il s’enivrait de plaisir, Adrian, qui avait un besoin à satisfaire, se lève, et rencontrant le berceau qui l’empêche d’ouvrir la porte, le déplace et le met près de son lit ; il oublie, au retour, de le remettre à sa première place. À peine s’est-il recouché, qu’un chat fit tomber quelque meuble. Le bruit éveille l’hôtesse, qui, craignant que ce ne fût quelque autre chose de plus sérieux, se lève à la hâte, et va, sans lumière, vers l’endroit où elle avait entendu le fracas. Voyant que ce qui était tombé n’était pas de grande conséquence, après avoir crié après le chat, elle revient à tâtons au lit où son mari couchait ; mais ne trouvant point le berceau : « Oh ! oh ! dit-elle en elle-même, la belle sottise que j’allais faire ! j’allais, ma foi, me coucher avec ces étrangers. » Et, revenant sur ses pas, elle se met, sans scrupule, dans le lit auprès duquel était le berceau. Elle se croyait dans les bras de son mari, elle était dans ceux d’Adrian ; car vous vous imaginez bien que ce jeune homme n’avait pas laissé échapper une si bonne fortune : dès qu’il sentit l’hôtesse auprès de lui, il n’eut garde de l’instruire de sa méprise, ni de perdre un instant pour en profiter.

Cependant Pinuccio, après avoir goûté avec Colette tous les plaisirs qu’il pouvait espérer, craignant que la fatigue ne le conduisît à un sommeil involontaire et dangereux entre les bras de son amante, la quitte et retourne dans son lit. Il rencontre le berceau ; et, croyant s’éloigner du lit de l’hôte, il va précisément se coucher avec lui ; et, ne pouvant contenir sa satisfaction, et imaginant l’épancher dans le cœur de son ami : « Adrian, dit-il, rien au monde,