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conseillant à celui-ci de retourner à Florence, de bien se garder de remettre jamais les pieds dans ce château, de peur que Philippe, instruit de l’aventure, ne le rendit victime de son honneur outragé. Ainsi le pauvre Calandrin, molesté, meurtri, retourna à Florence. Il oublia son amour, et ne s’en ressouvint que par les reproches dont sa femme l’accablait jour et nuit. Il ne revint plus au château, où il avait été le jouet de ses compagnons, de Philippe et de Colette.


NOUVELLE VI

LE BERCEAU

Dans la plaine de Mugnon, près de Florence, vivait naguère un bon homme qui tenait auberge. Quoiqu’il fût pauvre et sa maison petite, il logeait quelquefois les passants ; mais ce n’était que lorsque l’extrême nécessité l’exigeait ou que les voyageurs étaient de sa connaissance. Il avait une femme jeune encore et assez jolie ; une fille de quinze à seize ans, pleine de grâces et d’appas, un petit garçon d’un an, qui tétait encore sa mère, composaient le reste du ménage.

Un gentilhomme de notre cité, nommé Pinuccio, qui passait souvent par ce chemin, était devenu amoureux de la fille de l’aubergiste. Celle-ci, qui se tenait fort honorée d’avoir attiré les regards d’un citadin, feignait de répondre à sa passion ; ce n’était encore que l’amour-propre qui la conduisait ; mais l’amour véritable lui disputa son cœur et en resta maître. Si Pinuccio eût été moins délicat, s’il eût moins craint pour son honneur et celui de son amante, il n’eût pas désiré longtemps en vain les plus douces faveurs ; mais plus la passion est vive, moins ces craintes ont d’empire. Celle de Pinuccio était parvenue au point de ne plus leur laisser de place. Il cherche donc les moyens de se satisfaire. Il imagine d’aller loger chez sa maîtresse, et, comme il connaissait parfaitement toute la maison, il ne doute pas de pouvoir réussir, sans que personne s’en aperçoive. Ce projet ne fut pas plutôt conçu qu’il l’exécuta. Il prit, avec un de ses amis, nommé Adrian, qui était le plus cher et le plus fidèle de ses confidents, des chevaux de louage, et, les ayant chargés de leurs valises, ils sortirent de Florence. Ils arrivèrent à nuit close dans la plaine de Mugnon ; et, comme s’ils fussent venus de la Romagne, ils vont droit à la taverne et heurtent à la porte. L’hôte ouvre. « Tu vois, lui dit Pinuccio, qu’il faut que tu nous loges cette nuit. Nous