Page:Boccace - Contes de Boccace, trad De Castres, 1869.djvu/545

Cette page n’a pas encore été corrigée

de lui, et l’accueillit plus gracieusement qu’à l’ordinaire. Cet accueil séduisant enhardit Calandrin ; il la touche avec son parchemin, et gagne aussitôt la grange. Colette le suit, entre, ferme la porte, se jette à son col, le renverse sur la paille, se met sur lui à califourchon, et a soin de lui tenir les mains sur les épaules, de manière qu’il ne pouvait approcher son visage du sien. Cependant elle le fixe, le considère comme le plus cher objet de ses désirs. « Cher Calandrin, lui disait-elle, mon petit cœur, mon repos, mon bonheur, ma vie, qu’il y a longtemps que je désire de te posséder et de pouvoir me rassasier du plaisir de te voir ! Par tes charmes et tes grâces tu as enchanté mes sens, et tu as achevé de me séduire par les sons harmonieux de ta guitare. Est-il bien vrai que je te presse dans mes bras ? » Calandrin, qui avait de la peine à se remuer : « Hé, mon cher ange, lui dit-il, donnez-moi la liberté de vous baiser. — Ciel ! que tu es pressé ! laisse-moi d’abord te voir bien à mon aise ; souffre que je me remplisse de l’aimable image de ces traits si doux, si enchanteurs. » Lebrun et Bulfamaque, qui étaient allés rejoindre Philippe, voyaient et entendaient tout. Cependant Calandrin, ne pouvant plus résister à l’impatience de ses désirs, allait employer la force pour obtenir les faveurs de Colette, lorsque sa femme arrive avec Nello. « Je gage, dit celui-ci, qu’ils sont ensemble là dedans. » Tesse ne prend pas la peine d’ouvrir la porte de la grange, elle l’enfonce, entre avec précipitation, et voit son mari se débattre sous Colette, qui aussitôt lâche prise et court là où était Philippe. Tesse s’élance sur Calandrin, qui n’était pas encore levé, lui déchire le visage avec les ongles, le traîne de côté et d’autre par les cheveux, en disant : « Vieillard insensé ! voilà donc l’outrage que tu me préparais ! que je rougis maintenant de l’amour que j’ai eu pour toi ! Est-ce que tu n’as pas assez d’occupation au logis, pour que tu ailles en chercher ailleurs ? est-ce que tu ne te connais pas, malheureux ? ne sais-tu pas que quand on te mettrait dans un mortier on aurait de la peine à tirer trois gouttes de jus de ton individu ? Ce n’est plus moi maintenant qui t’engrosse, maudit original ! Il faut que celle qui se charge de ce soin ne soit pas difficile en hommes, pour avoir conçu du goût pour un animal de ta sorte. »

À l’aspect inattendu de sa femme, imaginez-vous la consternation de Calandrin : il resta plus mort que vif. Il n’eut pas le courage de prononcer un seul mot pour sa défense. Bien grondé, bien battu, bien harcelé, il ramasse son chapeau, et prie seulement sa femme de ne pas faire tant de bruit, si elle ne voulait pas qu’il fût taillé en pièces : « Car, ajouta-t-il, celle avec qui tu m’as trouvé est l’épouse du maître de la maison. — Je voudrais qu’elle fût celle du diable, et qu’on te mît en pièces, pour être délivrée d’un malheureux tel que toi. »

Lebrun et Bulfamaque, après avoir bien ri de l’aventure avec Philippe et Colette, accoururent au bruit, et firent tant, qu’ils apaisèrent la femme de Calandrin,