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Colette arriva fort à propos. Lebrun s’entretint avec elle et avec Philippe. On convint de ce qu’on devait faire. Alors Lebrun tire Calandrin à part : « Mon ami, lui dit-il, cette femme ne fait rien de ce qu’elle t’a promis ; je crois qu’elle veut te berner ; mais, si tu veux y consentir, je sais un moyen sûr pour l’amener, qu’elle le veuille ou non, à ce que tu désires. — Hé ! pour l’amour de Dieu, mon ami, ne perds pas un moment. — Auras-tu bien la hardiesse de la toucher avec un morceau de papier que je te donnerai ? — Assurément. — Eh bien, apportez-moi un peu de parchemin vierge, une chauve-souris en vie, trois grains d’encens et une chandelle bénite ; le reste est mon affaire. »

Calandrin passa la nuit suivante à guetter une chauve-souris. Dès qu’il l’eut prise, il l’apporta, avec les autres drogues, à Lebrun. Celui-ci se retira dans une chambre écartée, où il écrivit sur le parchemin ce qui lui passa par la tête et traça quelques caractères singuliers et inconnus. « Calandrin, dit-il en lui remettant l’écrit, sois sûr que si tu la touches avec ce parchemin, elle te suivra sur-le-champ et se rendra à tes désirs. Ainsi, mon cher, si Philippe sort aujourd’hui, fais tous tes efforts pour t’approcher d’elle, de quelque manière que ce soit, et ne manque pas de la toucher. Ensuite va dans la grange, où il y a de la paille ; c’est de toute la maison l’endroit le plus sûr, attendu que personne n’y met jamais le pied : elle t’y suivra ; dès qu’elle sera arrivée, tu sais ce que tu auras à faire. » Calandrin, au comble de la joie, répondit qu’il n’était pas inquiet de ce qu’il ferait, dès qu’il l’aurait en sa possession.

Nello, dont notre amoureux se défiait, était instruit de l’aventure, s’en amusait et travaillait, de concert avec les autres, à en amener le dénoûment. Il part, ainsi que Lebrun le lui avait recommandé, va à Florence, arrive chez la femme de Calandrin : « Tesse, lui dit-il, tu n’as pas oublié les mauvais traitements que tu reçus de ton mari, le jour qu’il revint de Mugnon ; il te battit sans pitié et sans justice ; il faut que tu te venges, et, si tu perds l’occasion que je te présente de le faire, ne me regarde jamais comme ton parent et ton ami. Il est devenu amoureux d’une jeune femme qui habite dans la maison où nous travaillons ; il obtient du retour, il voit souvent sa maîtresse, et il doit être avec elle en ce moment. Je veux donc que tu me suives et que tu le tances comme il le mérite. — Le perfide ! le scélérat ! s’écria Tesse ; voilà donc comme il me traite ! Mais, j’en jure Dieu, son crime ne restera pas impuni. » À ces mots, elle prend son manteau, se fait suivre par une servante et se met en chemin avec Nello. Dès que Lebrun les aperçut de loin : « Voici nos gens, dit-il à Philippe ; il est temps de partir. » Philippe va trouver Calandrin, lui dit qu’il est obligé d’aller faire un tour à Florence, et l’exhorte à redoubler d’activité. Il sortit incontinent et alla se cacher dans la grange, de manière qu’il pouvait tout voir, sans être vu. Lorsque Calandrin pensa que Philippe pouvait être un peu loin, il descendit à la cour, où il trouva Colette seule, qui, instruite du rôle qu’elle devait jouer, s’approcha