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une maison remplie de ces sortes de filles, lui en céda une pour quelque temps, qu’il emmena à Camérata. On l’appelait Colette ; elle était belle, vêtue richement, et démentait par ses discours et son maintien la profession qu’elle exerçait.

Un matin cette fille, étant sortie de son appartement, vêtue d’un simple jupon, les cheveux négligemment bouclés, pour se laver les mains et le visage à un puits qui était dans la cour du château, rencontra Calandrin qui puisait de l’eau. Le peintre la salua honnêtement. La figure de Calandrin parut à la courtisane si extraordinaire, si nouvelle, qu’elle le considéra longtemps avec une attention mêlée de surprise. Calandrin ne fut pas en reste avec elle, et ne lui épargna pas les coups d’œil. Sa beauté le frappa tellement, que ce qui n’était d’abord que l’effet de la curiosité fut celui de l’amour ; il restait toujours auprès d’elle, mais il n’osait lui parler, parce qu’il ne la connaissait pas. Colette, qui n’avait pas été longtemps à deviner ce que signifiaient des regards si opiniâtres, voulant s’amuser un moment, le lorgnait et soupirait par intervalles. Ce jeu tourna absolument la tête au pauvre Calandrin ; il ne sortit point de la cour que Philippe n’eut rappelé Colette, et qu’elle ne fut montée à sa chambre.

Calandrin, de retour à l’ouvrage, ne faisait que soupirer. Lebrun, qui s’amusait souvent à ses dépens, s’en apercevant, lui dit : « Que diable as-tu donc, Calandrin ? tu ne fais que soupirer. — Ah ! compagnon, si j’avais quelqu’un qui voulût m’aider, que je ferais bien mes affaires ! — Comment ! n’est-il personne à qui tu puisses confier ton secret ? — Il y a dans cette maison une femme plus belle qu’une divinité, qui est si amoureuse de moi, que cela te paraîtrait incroyable ; je viens de m’en apercevoir en allant puiser de l’eau. — Par Notre-Dame ! mon ami, prends garde que ce ne soit la femme de Philippe. — Je crois que c’est elle-même, répondit Calandrin, mais que m’importe ? sur cet article je puis tromper et Philippe et tout le monde. Mon ami, je veux tout t’avouer : elle me plaît au dernier point. — Je prendrai des informations sur son compte ; je saurai si elle est la femme de Philippe, comme il y a grande apparence, et si notre conjecture se trouve vraie, tu peux être assuré de réussir, parce que je la connais très-particulièrement ; mais, comment nous cacher de Bulfamaque ? Je ne lui parle jamais qu’en sa présence. — Je ne crains pas que Bulfamaque le sache, dit Calandrin : mais, pour Nello, j’exige le plus grand secret : il est parent de ma femme, et capable de l’en instruire. — Fort bien : je suis de ton avis. »

Lebrun savait qui était la belle, il l’avait vue venir, et d’ailleurs Philippe l’avait mis dans sa confidence. Calandrin étant sorti pour voir sa maîtresse, Lebrun ne perdit pas un instant pour conter toute cette histoire à Bulfamaque et à Nello. Ils concertèrent ensemble ce qu’ils devaient faire pour s’amuser de