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cheval. Enfin, après avoir couru à peu près l’espace d’une lieue, Fortarigue aperçut des laboureurs dans un champ voisin de la route, et leur crie de toute sa force : « Arrête, arrête ! » Ils accourent tous, l’un avec sa houe, l’autre avec sa bêche, et ils coupent le chemin à Anjollier, imaginant qu’il avait dépouillé celui qui courait ainsi en chemise après lui. Ce fut en vain qu’Anjollier leur dit ce qui en était. Fortarigue arrive, et, feignant d’être en colère : « Je ne sais à quoi il tient que je ne te tue, infâme, scélérat, dit-il à Anjollier : vous voyez, messieurs, comme il m’a équipé, après avoir joué et perdu tout ce qu’il avait ; mais, grâce à vous et à Dieu, je recouvre mon bien, j’en serai reconnaissant toute ma vie. » Anjollier en disait autant de son côté, mais on ne l’écoutait pas. Enfin, aidé des paysans, Fortarigue le descendit de cheval, le déshabilla, se revêtit de ses habits, monta sur son cheval, prit le chemin de Sienne, disant partout qu’il avait gagné le cheval et les habits d’Anjollier.

Ainsi, celui qui pensait aller trouver son cardinal en bon équipage dans la Marche d’Ancône fut obligé de s’en retourner, pauvre et nu, à Boncouvent. Il n’osa paraître à Sienne dans un si triste état. On lui prêta enfin des habits sur le cheval que montait Fortarigue, et qu’il avait été contraint de laisser à l’auberge pour gage de ce qu’il devait. Il alla à Corsignan, chez des parents qu’il y avait, et y demeura jusqu’à ce qu’il eut de nouveaux secours de son père. Ainsi la méchanceté de son compagnon renversa ses projets de fortune ; mais il sut s’en venger dans un temps plus favorable.


NOUVELLE V

LE SOT AMOUREUX DUPE

Nicolas Cornaccini, riche bourgeois de Florence, avait, entre ses autres possessions, un fort beau bien à Camérata, où il fit bâtir un superbe château. Pour les peintures dont il voulait l’embellir, il s’adressa à Lebrun et Bulfamaque, et conclut marché avec eux ; et, parce qu’il y avait beaucoup de travail, ces deux artistes s’associèrent Nello et Calandrin. Il ne demeurait dans ce château qu’une vieille servante pour le garder ; comme il y avait déjà quelques meubles, quelques lits et autres choses nécessaires, un fils de Cornaccini, nommé Philippe, profitait quelquefois de cet asile secret, et venait s’y divertir de temps en temps avec des courtisanes, qu’il renvoyait au bout de vingt-quatre heures. Il était jeune et à marier. Un jour, un nommé le Mangione, qui tenait à Camaldoli