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bâton et lui donnerais tant de coups, que je la mettrais en pièces. Cependant, si je suis puni, il faut convenir que je le mérite bien : je ne devais jamais condescendre à ses volontés. Mais, si je puis en revenir, qu’elle soit persuadée que je la verrais mourir mille fois plutôt que de la satisfaire à cet égard. » Lebrun, Bulfamaque et Nello faisaient tous leurs efforts pour s’empêcher de rire. Pour le médecin, il se donnait libre carrière, il éclatait si fort, il ouvrait si largement sa bouche, qu’on eût pu sans peine lui arracher toutes les dents. Enfin Calandrin eut recours à lui, se recommanda à son art, et le pria instamment de lui donner, dans cette détresse, ses conseils et ses soins. Le médecin lui dit obligeamment : « Mon ami, il ne faut pas tant te tourmenter. Grâce à Dieu, je me suis assez tôt aperçu de ton mal pour y apporter un remède aussi prompt qu’efficace ; mais il t’en coûtera un peu. « Hélas ! monsieur, j’ai deux cents livres, avec lesquelles je voulais acheter une métairie, prenez-les, s’il le faut, je les sacrifie volontiers pour me tirer de l’embarras où je suis, et pour n’être point dans le cas d’accoucher ; car, en vérité, je doute que je puisse soutenir une si terrible opération. J’ai, dans ce moment, entendu les femmes crier si fort, et n’étant pas conformé comme elles, je vois bien qu’il faudrait en mourir. — N’aie aucune inquiétude, mon ami, je vais te préparer un breuvage très-agréable qui, dans trois matinées, te tirera d’affaire et te rendra plus sain qu’auparavant. Mais, dans la suite, sois sage, et garde-toi bien de retomber dans tes anciennes folies. Pour composer l’eau que tu dois boire, il faut une demi-douzaine de chapons gras, et pour les autres drogues qu’on doit y mêler, tu donneras à Lebrun cinq livres ; il les achètera, et me fera tout porter dans ma boutique. Je t’enverrai demain matin, s’il plaît à Dieu, cet excellent breuvage, dont tu boiras un grand verre tous les jours. — Monsieur, lui répondit Calandrin, je remets tout entre vos mains. » Il donna cinq livres à Lebrun, outre l’argent nécessaire pour acheter les chapons, et le pria de vouloir bien se donner la peine d’en faire l’emplette pour l’amour de lui.

De retour chez lui, le médecin fit faire un bouillon qu’il envoya au prétendu malade. Lebrun, ayant acheté les chapons et tout ce qui devait les accompagner, revint avec Bulfamaque et Nello. L’on but et l’on mangea en l’honneur de Calandrin. Celui-ci prit son bouillon pendant trois jours de suite. Ses amis vinrent le voir. Le médecin lui ayant tâté le pouls, lui dit : « Calandrin, te voilà absolument guéri. Lève-toi maintenant ; tu peux sortir quand il te plaira. » Le sot se lève, va à ses affaires, court la ville et vante partout la cure merveilleuse que maître Simon a faite sur lui. Lebrun, Bulfamaque et Nello étaient charmés d’avoir pu tromper l’avarice de Calandrin ; mais la femme de ce dernier, s’étant aperçue du tour, s’en vengea en grondant son benêt de mari.