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prévenu, inquiet, n’éprouvant cependant aucun mal, rencontre Bulfamaque à quelques pas, qui, l’ayant salué, lui demanda s’il ne sentait rien. « Je ne sais ; Nello, que je viens de rencontrer, m’a dit que je lui paraissais tout changé ; serait-il bien possible que j’eusse quelque chose ? — Si tu as quelque chose ! assurément ; tu sembles à demi mort. » À ces mots, Lebrun survint. « Ah ! Calandrin, quel visage as-tu là ! on te prendrait pour un mort. Comment te trouves-tu ? » Ces trois rapports si uniformes, et qui avaient l’air d’être si peu concertés, persuadèrent Calandrin qu’il était effectivement malade. « Que dois-je faire ? demanda-t-il douloureusement à ses amis. — Si tu m’en crois, dit Lebrun, tu te mettras dans ton lit, tu te couvriras bien, tu enverras de ton urine à maître Simon le médecin, qui, comme tu sais, est absolument dévoué à nos intérêts ; il découvrira le genre de ta maladie et t’en prescrira le remède. Nous voulons t’accompagner ; et, s’il est besoin de te faire quelque chose, nous sommes à ton service. » Nello les rejoignit, et tous trois suivirent Calandrin dans sa maison. Dès qu’ils furent arrivés, Calandrin dit tristement à sa femme : « Viens, ma femme, viens me couvrir, car j’éprouve une grande douleur. »

S’étant couché, son premier soin fut d’envoyer de son urine à maître Simon, qui, pour lors, demeurait au vieux marché, à l’enseigne du Melon. Il chargea une petite fille de ce message. Lebrun alors dit à ses compagnons : « Mes amis, demeurez ici ; moi, je vais savoir la réponse du médecin, et je l’amènerai, si cela est nécessaire. — Ah ! oui, mon ami, dit Calandrin, va savoir toi-même ce que tout cela veut dire ; je me sens du mal par-ci par-là, cela me donne beaucoup d’inquiétude. » Lebrun part, arrive chez maître Simon avant la petite fille, et lui fait part de tout le complot. La messagère entre avec la bouteille d’urine ; le médecin l’examine avec attention. « Retourne, ma mie, vers Calandrin ; dis-lui de se tenir chaudement ; dans un instant j’irai le voir ; je lui dirai quel mal il a et quel régime il doit garder pour s’en débarrasser. » La messagère revient, fait son rapport, et, un moment après, entre Lebrun accompagné du médecin. Il tâte le pouls du malade, et lui dit, en présence de sa femme : « Calandrin, mon ami, si tu veux que je te parle vrai, tu n’as d’autre mal que d’être gros d’enfant. »

À cette nouvelle inattendue, Calandrin, désespéré, s’écrie : « Ah ! ma femme, c’est toi qui m’as mis dans cet état. Je te l’avais bien dit ; tu n’as jamais voulu me croire, et, malgré mes remontrances, tu as toujours voulu te mettre sur moi et renverser l’ordre établi par la nature. » La femme, qui était très-honnête, rougit et quitta la chambre ; mais Calandrin continue : « Ah ! malheureux que je suis ! que vais-je devenir ? que puis-je faire ? comment accoucherai-je ? par où l’enfant pourra-t-il sortir ? Je vois bien qu’il faut mourir, et mourir par la rage de cette maudite femme. Dieu puisse-t-il lui faire autant de mal que je me désire de bien ! Si j’étais aussi sain que je le suis peu, je me lèverais bientôt, je prendrais un