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Elles frappent à la porte : « Allons vite, allons, madame, accourez ; la sœur Isabeau a un jeune homme dans sa chambre. » À ce bruit, à ces cris, l’abbesse, effrayée et craignant que par trop d’empressement les nonnes n’enfonçassent la porte, et ne découvrissent dans son lit un prêtre qui le partageait avec elle et qu’à l’aide d’un coffre elle introduisait dans le couvent, se leva à la hâte, s’habilla du mieux qu’elle put, et, pensant couvrir sa tête d’un voile qu’on nomme le Psautier, elle s’embéguina de la culotte du prêtre. Dans cet équipage grotesque, et dont les nonnes trop occupées ne s’aperçurent pas, l’abbesse criant dévotement : « Où est cette fille maudite ? » on arrive à sa porte, on l’enfonce, on entre, on trouve les deux amants dans les bras l’un de l’autre. L’étonnement, l’embarras les rendaient immobiles. Mais les nonnes, furieuses, enlevèrent leur jeune sœur, et, par l’ordre de l’abbesse, la conduisirent au chapitre. Le jeune homme resta dans la cellule ; il s’habilla et voulut attendre l’issue de cette aventure, bien résolu de se venger, sur celles qu’il pourrait attraper, des mauvais traitements qu’éprouverait sa maîtresse, si l’on ne la respectait pas, de l’enlever et de s’enfuir avec elle.

L’abbesse arrive au chapitre et prend sa place. Toutes les nonnains y étant, les yeux de toutes étaient fixés sur la pauvre Isabeau. L’abbesse commence sa réprimande, qu’elle assaisonne des plus piquantes injures ; elle traite la pauvre coupable comme une femme qui avait souillé et terni, par ses actions abominables, la réputation de sainteté dont jouissait le couvent. Isabeau, honteuse et timide, gardant le silence de la conviction, n’ose lever les yeux, et son touchant embarras inspire de la pitié à ses ennemies mêmes. L’abbesse continue toujours ses invectives ; la nonnain, comme enhardie par l’excès d’un tel emportement, ose lever la vue, l’arrête sur la tête de l’abbesse, et voit la culotte du prêtre qui pend aux deux côtés. Cette vue la rassure. « Madame, lui dit-elle, que Dieu vous soit en aide ! dites-moi bien tout ce qu’il vous plaira ; mais, de grâce, rajustez votre coiffe. » L’abbesse, qui n’entendait rien à ce discours : « De quelle coiffe parles-tu, impudente ? dit-elle. As-tu bien l’audace de vouloir railler ? te semble-t-il avoir fait quelque chose de risible ? — Madame, encore un coup, dites-moi tout ce qu’il vous plaira ; mais, de grâce, rajustez votre coiffe. » Cette prière singulière, répétée avec affectation, fit tourner tous les yeux sur l’abbesse, et la décida enfin à porter elle-même la main sur sa tête. On vit alors pourquoi Isabeau avait parlé comme elle avait fait. L’abbesse, décontenancée, et sentant qu’il était impossible de déguiser son aventure, changea de langage, et conclut son discours par faire voir combien il était difficile d’opposer une résistance continuelle aux aiguillons de la chair. Aussi douce dans cet instant qu’elle avait d’abord paru sévère, elle permit à ses ouailles de continuer, comme on avait fait jusqu’à ce jour, à saisir toutes les occasions de s’amuser en secret. Après avoir pardonné à Isabeau, elle regagna son appartement. Isabeau rejoignit