Page:Boccace - Contes de Boccace, trad De Castres, 1869.djvu/530

Cette page n’a pas encore été corrigée

l’étonna, mais son étonnement ne l’empêcha pas de rire lorsqu’elle vit Alexandre jeté par terre, Rinuce s’enfuir et son compagnon l’imiter. Cette aventure la divertit beaucoup. Elle loua Dieu qui l’avait délivrée de l’embarras où elle était, ferma la fenêtre et gagna son appartement. Cependant elle convint avec sa servante que ses deux amants l’aimaient beaucoup, puisqu’ils avaient ponctuellement suivi ses ordres.

Rinuce, triste, affligé, maudissant la fâcheuse rencontre qui avait fait échouer son entreprise presque achevée, revint quand le guet fut parti, pour se ressaisir de sa proie. Ne la trouvant pas, il s’imagina qu’on s’en était emparé, et, le dépit dans le cœur, il s’en retourna chez lui. Alexandre, non moins mécontent que Rinuce, ne soupçonnant pas le tour qu’on lui avait joué, ne sachant que devenir, regagna aussi son gîte fort tristement.

Le matin, on trouva le tombeau ouvert et vide. Ce fut la matière de beaucoup de propos différents dans la ville de Pistoie. Chacun en parla à sa manière. Les plus sots disaient que le diable avait emporté Étrangle-Dieu.

Cependant nos deux amants ne voulurent pas avoir perdu leur peine entière. Chacun, de son côté, conta à la dame ce qu’il avait fait, ce qui était arrivé, s’excusa de n’avoir pu entièrement remplir ses volontés, demanda grâce et un peu de retour pour un amour si violent et si vrai. Mais, toujours inflexible et feignant de ne pas ajouter foi à leur récit, elle s’en débarrassa honnêtement, en leur faisant entendre qu’ils n’avaient rien à espérer d’elle, puisqu’ils n’avaient pas fait ce qu’elle exigeait.


NOUVELLE II

LE PSAUTIER DE L’ABBESSE

Il y a en Lombardie un monastère fameux par sa sainteté et l’austérité de la règle qu’on y observe. Une femme, nommée Isabeau, qui réunissait en elle la noblesse et la beauté, l’habitait depuis quelque temps. Un jour un de ses parents vint la voir à la grille avec un ami, cet ami était jeune et bien fait. La nonain le sentit, et en devint dès ce moment éperdument amoureuse. Une heureuse sympathie agit sur le cœur du jeune homme ; il ne fut pas plus insensible aux charmes d’Isabeau qu’elle aux siens. Mais ils ne retirèrent pendant longtemps de cet amour mutuel d’autres fruits que les tourments de la privation.