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dit et fait auparavant : « Il faut, ma bonne amie, que ce ne soit pas là ce qui t’empêche de prendre mes cinq cents écus ; car, sois assurée que si j’avais eu besoin d’argent, je n’aurais pas fait la moindre difficulté de t’en demander, d’après la connaissance intime que j’ai de ton affection pour moi. — Je reconnais à ce trait, mon cher Salabet, que tu m’aimes véritablement, et que je ne me suis pas trompée en te choisissant pour mon bon ami. C’est ce qui s’appelle être généreux et délicat, que de prévenir ainsi ma demande et de m’offrir une aussi grosse somme d’argent. Tu m’étais déjà bien cher, mais tu me le deviens encore davantage par un tel procédé. Rien n’est plus noble ; vous voulez que je vous sois redevable de la tête de mon frère ; c’est un service que je n’oublierai jamais. C’est avec regret pourtant que j’accepte vos cinq cents écus, parce que je sais que les marchands sont dans le cas de faire valoir leur argent et de manquer de bonnes affaires faute de fonds ; mais ce qui m’enhardit, c’est l’espérance de te rendre sous peu de jours cette somme, et plutôt que d’y manquer, j’engagerais toutes les maisons qui m’appartiennent. » En disant ces derniers mots, elle se laissa tomber, en pleurant, sur le visage du Florentin, qui, pour ne pas l’abandonner à son chagrin, passa la nuit avec elle. Il n’eut rien de plus pressé, le lendemain, que d’aller chercher les cinq cents écus, sans attendre qu’elle l’en fît souvenir. Il les lui remit de bonne grâce, et sans exiger d’autre assurance que la parole qu’elle lui avait donnée de les lui rembourser sous quinzaine. La dame les reçut en riant du cœur et pleurant des yeux. Elle ne manqua pas, comme on le peut croire, de renouveler au marchand, avant de le quitter, les assurances de son amour et de sa juste reconnaissance.

Ce fut tout autre chose les jours suivants. Parvenue à son but, elle changea de marche. Salabet, qui précédemment pouvait la voir à toute heure du jour et de la nuit, trouvait souvent sa porte fermée. C’était beaucoup, quand de sept visites qu’il lui faisait, il y en avait une d’heureuse ; sans compter que ce n’était plus le même accueil ni la même chère qu’auparavant. Un mois s’était écoulé au delà du terme pris pour le payer, que madame Blanche-Fleur ne parlait pas de s’acquitter. Salabet prit sur sa timidité de lui demander son argent. On ne lui répondit que par de mauvaises défaites. Ce fut alors seulement qu’il comprit qu’il avait été trompé et joué. Il ne se possédait pas de rage d’avoir été dupe à ce point. Mais qui ne l’eût été comme lui ? Comment se figurer qu’une femme qui s’était conduite avec tant d’art et de finesse n’était qu’une comédienne ? Ce qui le fâchait surtout, c’était de n’avoir pas exigé une reconnaissance des cinq cents écus. Comment les ravoir ? Se plaindre ? il n’avait ni preuve ni témoin, et il vit bien que madame Blanche-Fleur était femme à tout nier. Il n’osa même s’ouvrir à personne sur son aventure, dans la crainte qu’on ne se moquât de lui, ayant surtout été averti par plusieurs personnes de se défier