Page:Boccace - Contes de Boccace, trad De Castres, 1869.djvu/519

Cette page n’a pas encore été corrigée

avait retirée, et prépara ses batteries pour la lui enlever. Salabet vint quelques jours après souper avec elle ; il n’y eut point de caresses qu’elle ne lui fît ; elle se montra si passionnée, que le Florentin crut qu’elle allait expirer entre ses bras. Il suffisait qu’il louât quelque chose pour qu’elle le pressât de le recevoir. Elle voulut lui faire accepter deux très-belles tasses d’argent ; mais, comme il avait déjà reçu pour plus de trente écus de présents, sans avoir jamais fait pour elle un sou de dépense, il crut devoir refuser celui-là, quelque instance qu’elle fît. Elle ne s’inquiéta point de ce refus, parce qu’elle était bien assurée de la sincérité de son attachement, d’après toutes les mesures qu’elle avait prises pour lui persuader qu’elle l’aimait avec autant de désintéressement que de passion. Pendant qu’ils étaient occupés à s’entretenir de leur tendresse mutuelle, une des servantes de la dame vint lui dire qu’elle avait quelque chose à lui communiquer en particulier. Elle sort et rentre un quart d’heure après, fondant en larmes. Elle se jette sur son lit, et se lamente sans rien dire à son amant. Celui-ci, surpris d’un changement aussi subit, vole vers elle, la prend entre ses bras et se met à pleurer de compagnie : « Qu’as-tu donc, ma chère amie ? d’où vient que tu pleures ainsi ? quelle est la cause de ton chagrin ? ne me le cache point, ma douce amie. » Elle ne lui répond qu’en redoublant ses pleurs. Il lui parle encore, et après qu’il l’eut priée bien fort : « Hélas ! mon doux ami, s’écria-t-elle, je ne sais ce que je dois dire, ni ce que je dois faire. J’ai le plus grand chagrin du monde. Je viens de recevoir des lettres de Messine, parmi lesquelles il y en a une d’un de mes frères, qui me prie de lui envoyer mille écus dans huit jours, dussé-je engager ou vendre tout ce que j’ai au monde, parce que, sans cela, il aura la tête tranchée sur un échafaud. Je suis au désespoir. Le moyen de trouver cette somme en si peu de temps ! S’il m’eût au moins donné quinze jours pour me retourner, je pourrais la lui procurer. Je vendrais une de mes terres ; mais un terme si court m’en ôte les moyens. Je sens que je ne pourrai survivre à la douleur d’apprendre la mort de mon frère. » Et là-dessus larmes et doléances de recommencer.

Salabet, qui aurait été plus clairvoyant s’il eût été moins amoureux, croyant ces larmes sincères et que ce qu’elle disait était la vérité même, se mit à la consoler. « Il ne me serait pas possible, madame, de vous prêter les mille écus, parce que je ne les ai pas en mon pouvoir ; je n’en possède que cinq cents, et je vous les offre de bon cœur, si vous pouvez me les rendre d’ici à quinze jours. Par bonheur, je vendis hier mes draps, sans quoi je n’aurais pu vous offrir un sou. — Quoi ! mon cher ami, tu t’es donc laissé manquer d’argent, puisque tu n’en as que depuis hier ? Que ne m’en demandais-tu ? car, quoique je n’aie pas les mille écus, j’en avais toujours cent et même deux cents à ton service. Un manque de confiance de cette nature ne me permet pas d’accepter l’offre que tu me fais. » Salabet, plus touché de ces paroles que de tout ce qui lui avait été