Page:Boccace - Contes de Boccace, trad De Castres, 1869.djvu/518

Cette page n’a pas encore été corrigée

qu’on se fût dispensé de tant de cérémonies, pour se trouver seul avec la dame, aussi lui tardait-il infiniment que les servantes se retirassent. Il s’ouvrit à ce sujet à la belle, qui leur ordonna aussitôt de passer dans une autre pièce, et de laisser seulement dans la chambre une bougie allumée. Les amants ne se virent pas plutôt seuls qu’ils commencèrent à s’embrasser et à goûter les plaisirs de l’amour. Le Florentin ne se lassait point de répéter les jouissances, d’autant plus délicieuses qu’il se croyait le plus aimé des hommes. Quand la dame comprit qu’il était temps de se lever, elle sonna les femmes pour l’habiller, et leur ordonna de servir encore du vin et des confitures, pour réconforter le galant, qui en avait besoin. Avant de se séparer : « Mon cher ami, lui dit-elle, tu serais bien aimable et me ferais grand plaisir si tu voulais venir souper et coucher ce soir chez moi. Salabet, qui en était véritablement épris et qui croyait ne devoir qu’à l’amour les plaisirs qu’il avait goûtés avec elle, lui répondit que son désir le plus ardent était de faire quelque chose qui lui fût agréable, et qu’il était disposé de coucher non-seulement ce soir-là avec elle, mais tous les jours de sa vie, si elle le trouvait bon. Après cette réponse ils se séparèrent.

La dame ne manqua pas de faire parer sa chambre et de donner des ordres pour préparer un magnifique souper. Le Florentin fut reçu le mieux du monde, on lui fit faire bonne chère, et le repas fut égayé par mille jolis propos. De la table il passa dans la chambre à coucher. L’odeur des parfums les plus doux qu’il respira en entrant, la richesse des meubles, l’air de décence et les manières polies de la maîtresse du logis, tout lui persuada qu’il avait affaire à une personne du premier rang et fort riche. Quoiqu’il eût entendu dire des choses désavantageuses sur son compte, il regardait tout cela comme un effet de la calomnie et de la jalousie ; et supposé même qu’elle eût joué quelqu’un, il ne pouvait se figurer qu’elle fût capable de le tromper. Il coucha ce soir-là avec elle, et eut tous les sujets du monde de s’en féliciter. Il se croyait aussi aimé qu’il était amoureux, et la belle n’épargna rien pour le nourrir dans cette idée. Le lendemain, elle lui fit présent d’une belle ceinture d’argent avec une bourse, en lui disant : « Mon cher ami, tu peux disposer de tout ce que je possède comme s’il t’appartenait. Depuis que je t’ai donné mon cœur, je suis plus à toi qu’à moi-même, et tu peux par conséquent te regarder ici comme le maître et y commander comme chez toi. Salabet répondit à cela par de nouvelles caresses et par les assurances d’un attachement inviolable. Il ne s’en sépara que pour aller à la place où les marchands ont coutume de se rendre, et profitait de tous ses moments de liberté pour aller prendre du plaisir chez elle, sans qu’il lui en coûtât rien. Peu de temps après, il profita d’une occasion qu’il eut de vendre ses draps avec beaucoup de profit. La belle, en ayant été instruite incontinent par ses espions, jeta un dévolu sur la somme qu’il en