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voulait se trouver à une étuve qu’elle lui désignerait. Ensuite elle tira de sa bourse un anneau qu’elle lui remit de sa part, comme un gage de son amour.

Salabet était au comble de la joie. Il prend l’anneau, l’examine de près, le baise avec transport, et l’ayant mis à son doigt, il répond à la bonne commissionnaire que madame Blanche-Fleur ne fait que lui rendre justice en le payant de retour ; qu’il pense à elle nuit et jour ; qu’il l’aime au delà de toute expression, et qu’il n’y a pas de lieu où il ne soit prêt à aller pour se procurer le plaisir de la voir. « Elle n’a qu’à me faire savoir le jour et le moment, et je m’y rendrai. »

La dame, instruite de ses dispositions, lui renvoie sur l’heure sa confidente, pour lui dire à quelles étuves il devait aller la trouver, le lendemain après vêpres.

L’heure du rendez-vous venue, Salabet, qui ne s’était vanté à personne de son aventure, se rend chez le baigneur, et apprend avec plaisir que l’étuve était retenue pour madame Blanche-Fleur. À peine y avait-il passé quelques minutes, qu’il vit arriver deux servantes chargées, l’une d’un beau et grand matelas de futaine[1], l’autre d’un panier plein de provisions. On étendit les matelas sur un lit, avec des draps de fin lin, bordés d’or et de soie, qu’on couvrit d’une courte-pointe, d’un boucassin[2] de Chypre très-blanc, et de deux oreillers brodés magnifiquement. Après cela, les deux servantes entrèrent dans la chambre du bain et le lavèrent avec soin.

Madame Blanche-Fleur ne se fit pas attendre longtemps. Elle arriva accompagnée de deux autres servantes, et fit mille caresses à Salabet dès qu’elle fut seule avec lui. Après bien des soupirs poussés de part et d’autre, et bien des baisers donnés et rendus : « Il n’y a que vous seul, dit la dame, qui ayez pu me faire venir ici. Il n’y a pas eu moyen de me défendre de vos charmes, trop aimable Toscan ; vous avez embrasé mon cœur. » Après plusieurs galanteries de même force, ils se déshabillèrent et entrèrent tout nus dans le bain, aidés de deux servantes. La dame, sans permettre que personne portât la main sur son corps, se lava elle-même avec un savon composé de différentes odeurs, où celle du musc dominait ; après quoi elle se fit essuyer par les servantes, avec des draps très-fins et parfumés. Le Florentin fut servi avec le même soin. Ils furent portés l’un et l’autre sur les épaules des servantes, bien enveloppés, dans le lit qui avait été préparé. Un instant après, on tira les draps mouillés et on laissa le couple amoureux sur les autres draps, qu’on avait arrosés d’eau de roses, d’eau de fleur d’oranger, de jasmin et d’eau de naphte, toutes prises dans de petits flacons d’argent très-beaux. Ils furent enfin régalés de confitures et de vins exquis, si bien que Salabet se croyait en paradis. Mais rien ne le charmait tant que la beauté de madame Blanche-Fleur. Il aurait souhaité de tout son cœur

  1. Étoffe croisée et pelucheuse, de fil et de coton. (Note du correcteur ebooks libre et gratuit).
  2. Lainage serré et lustré, parfois mêlé de soie, employé en France pour l’habillement et l’ameublement. (Note du correcteur ebooks libre et gratuit).