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toujours par se rendre aux invitations, parce qu’ils aimaient la bonne chère.

Le docteur, ayant pris son temps, fit à Bulfamaque la même prière qu’il avait faite à son confrère. Bulfamaque feignit d’en être scandalisé, et fit cent reproches à Lebrun. « Je jure, dit-il d’un ton irrité, je jure par le dieu de Pafignan que je te ferai repentir de ton intempérance de langue. Je ne sais à quoi il tient que je ne te déchire la figure pour t’apprendre à dire nos secrets à M. le docteur. » Le médecin lui protesta qu’il l’avait su d’ailleurs, et parla si sagement, qu’il apaisa sa colère. « Il paraît bien, monsieur le médecin, dit alors Bulfamaque, que vous avez été à Bologne, et que vous savez garder un secret. Je vois encore que vous n’en êtes pas resté à l’A, b, c, comme plusieurs de nos docteurs, qui ne laissent pas de faire les fanfarons. Si je ne me trompe, vous êtes né un jour de dimanche. Lebrun m’avait bien dit que vous étiez un savant médecin ; mais il n’avait pas ajouté que vous saviez prendre les cœurs par votre douce éloquence. J’ai vu peu d’hommes parler si bien et si sagement. — Voilà ce que c’est, mon ami, interrompit le docteur en se tournant vers Lebrun, d’avoir affaire à des gens d’esprit ; cet honnête homme n’a-t-il pas su connaître en un instant toute l’étendue de mon rare savoir ? Il vous fallut plus de temps à vous pour découvrir tout ce que je vaux. Dites-lui ce que je vous répondis lorsque vous m’assurâtes qu’il se plaisait à la société des hommes de mérite. — Il le sait, dit Lebrun. — Vous auriez encore une meilleure opinion de moi, continua le docteur en regardant Bulfamaque, si vous m’aviez vu à Bologne, où j’étais aimé des grands et des petits, des professeurs et des écoliers, tant je savais les enchanter par mes discours et mon savoir. Je maniais si bien la parole et j’étais si accoutumé à me faire admirer, que je n’ouvrais pas la bouche sans faire rire ceux qui étaient présents. On sait aussi que j’ai été universellement regretté. On voulait, pour me retenir, me donner le privilège exclusif d’enseigner la médecine ; mais je résistai à tout pour venir jouir ici des grands biens que je possède et pour me rendre utile à mes compatriotes.

— Eh bien ! Bulfamaque, dit alors Lebrun, tu vois bien que je ne t’ai rien dit de trop à l’avantage de M. le docteur. Tu conviendras à présent que tu avais tort de soupçonner d’exagération les éloges que j’en faisais. Je suis assuré qu’il n’y a pas de médecin à Florence qui se connaisse mieux que monsieur en urine d’âne, et qu’on ne trouverait pas son pareil d’ici aux portes de Paris. Vois maintenant si tu peux lui refuser quelque chose. — Vous avez raison, dit le docteur ; mais on ne me connaît point dans cette ville, où je n’ai rencontré jusqu’à ce jour que des gens grossiers et bornés. — Je voudrais que vous me vissiez parmi mes confrères. — Je n’ai pas besoin de cette nouvelle preuve de votre savoir, dit Bulfamaque ; il est facile de voir que vous êtes leur maître à