Page:Boccace - Contes de Boccace, trad De Castres, 1869.djvu/506

Cette page n’a pas encore été corrigée

bien que je vous veux. Personne ne vous aime et ne vous considère plus que moi, parce que je trouve dans tous vos discours un jugement qui me charme, un sel qui me séduit, une sagesse qu’on ne peut s’empêcher d’admirer. Vous êtes sensible à la beauté, c’est un nouveau titre à mon estime. Oui, mon cher ami, plus je vous connais, plus je vous vénère. Mais la chose que vous désirez ne dépend pas de moi. Mon crédit sur ce point est moindre que vous ne croyez. Cependant, comme on ne risque rien avec un homme aussi discret que vous, je vous indiquerai les moyens que vous devez prendre pour réussir ; moyens qui me paraissent infaillibles, puisque vous avez de beaux livres, de belles robes et mille belles qualités. — Parlez, ordonnez, dit le médecin transporté de joie, vous pouvez compter que vous ne serez compromis en rien par mon indiscrétion. Il n’y a pas d’homme sur terre plus secret que moi. Dans le temps que messire Gasparin de Salicet était juge de Farnisopoli, il ne faisait presque rien sans me le communiquer, parce qu’il connaissait ma circonspection. Pour vous prouver que je ne vous en impose point, vous saurez que je fus le premier à qui il fit part de son mariage avec la Bergamine. Douterez-vous, après cela, de ma discrétion ? — Je n’aurais garde, répond Lebrun ; et puisque cet homme se fiait à vous, j’aurais grand tort sans doute de ne pas m’y fier aussi. Voici donc la manière dont vous devez vous y prendre pour être admis dans notre confrérie : Nous avons toujours un capitaine et deux conseillers, qu’on change tous les six mois. Il est arrêté qu’aux fêtes de Noël prochain Bulfamaque sera élu capitaine, et moi conseiller. Le capitaine peut beaucoup pour faire recevoir un étranger. D’après cela, il me semble qu’il serait bon que vous fissiez la connaissance de Bulfamaque. Vous êtes si poli, si aimable, que vous n’aurez point de peine à vous l’attacher ; et, devenu votre ami, vous l’engagerez à vous servir, et il le fera bien volontiers. Je lui ai parlé de vous dans plus d’une circonstance, et le bien que je lui en ai dit vous a acquis son estime. De mon côté, soyez sûr que je vous seconderai de tout mon zèle. — Ce moyen, dit le docteur, me paraît excellent. Si Bulfamaque se plaît avec les gens éclairés, il ne pourra point se passer de moi, quand il m’aura une fois connu. Je puis dire, sans me vanter, que j’ai tant de savoir, que je pourrais en fournir à toute une ville, et en avoir encore de reste. »

Lebrun ayant quitté le médecin, dont il commençait à s’ennuyer, alla trouver Bulfamaque pour lui conter cette belle conversation et s’en divertir avec lui. Bulfamaque brûlait d’impatience de voir de près cet original pour rire à ses dépens. Le médecin, qui de son côté grillait d’envie d’aller en course, n’eut point de cesse qu’il n’eût vu le camarade à Lebrun. Il les eut l’un et l’autre le lendemain à dîner et à souper, et leur fit bonne chère. Ces festins en amenèrent d’autres. C’était tous les jours un nouveau régal pour les deux peintres, qui faisaient les cérémonies nécessaires pour paraître désintéressés, mais qui finissaient