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dévoué ; il n’est rien que je ne sois disposé à faire pour vous en convaincre. Fallût-il aller tout à l’heure à deux lieues d’ici pour vous obliger, je partirais sans balancer. Comme je suis persuadé que vous ne m’aimez pas moins, vous ne devez pas être étonné de la prière que je vais vous faire. Depuis que vous m’avez parlé de votre agréable confrérie, je ne désire rien tant que d’en être, et ce n’est pas sans de bons motifs, comme vous allez en juger. Je vis l’année dernière à Cacavincigli la plus jolie servante qu’il y ait peut-être dans l’Italie, et depuis ce temps elle ne m’est pas sortie de la tête. Mon intention serait de la faire venir. Que j’aurais de plaisir à la caresser ! Je lui offris, dans le temps, deux bolonais pour l’engager à m’accorder ses faveurs ; mais il n’y eut pas moyen de l’y résoudre. Ne pourrais-je pas être admis dans votre société ? Dites-moi, je vous prie, ce qu’il faut que je fasse pour y être reçu ; soyez sûr que vous aurez en moi un compagnon qui ne vous déshonorera point. Je suis bel homme, mon teint est frais comme une rose ; je suis de plus docteur en médecine, et je pense que vous n’en avez point dans votre confrérie, où je pourrai par conséquent être utile. Je sais mille belles choses et même une infinité de chansons. Tenez, je vais vous en chanter une. » Et le voilà qui chante. Lebrun mourait d’envie de rire ; mais il se retint. La chanson achevée : « Eh bien, notre ami, qu’en dites-vous ? reprit le médecin. En vérité, répond le peintre, il n’est pas possible de mieux chanter ni d’avoir une voix plus agréable ; elle effacerait les sons harmonieux des violons de Saggenali. Vous êtes un vrai prodige. — Vous ne l’auriez jamais cru, je gage, si vous ne l’aviez entendu ? — Non, je vous jure, — J’en sais bien d’autres ; mais ce n’est pas le temps de vous montrer tout mon savoir. Apprenez que, tel que vous me voyez, je suis fils d’un gentilhomme, quoiqu’il ne vécût qu’au village, et que, du côté de ma mère, je descends en ligne directe de la famille de Vallechio. Aucun médecin de Florence n’a d’aussi beaux livres ni d’aussi belles robes que moi. J’en ai une qui m’a coûté près de cent écus. Je vous prie donc encore une fois de me faire admettre dans votre société. Si vous me rendez ce service, vous pouvez hardiment tomber malade quand vous voudrez ; je vous promets de vous guérir gratis. »

Lebrun l’avait assez pratiqué pour n’être pas surpris de l’entendre parler ainsi ; c’est pourquoi, d’après la connaissance qu’il avait de son caractère, pour lui persuader qu’il cherchait une défaite : « Éclairez un peu de ce côté-ci, lui dit-il ; je vous répondrai quand j’aurai fait les queues à ces rats. » Quand le peintre eut achevé son travail, il contrefit l’homme embarrassé de la demande qui lui avait été faite. « Je suis persuadé, dit-il au docteur, que vous feriez beaucoup de choses pour moi ; aussi vous n’avez point affaire à un ingrat. Mais sentez-vous bien toute l’importance du service que vous me demandez ? s’il était en ma puissance de le rendre à quelqu’un, soyez persuadé que ce serait à vous. Je crois même faire peu de chose, eu égard à votre mérite et au