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remarqua autrefois dans le nommé Simon de Villa, plus riche en biens patrimoniaux qu’en qualités acquises. Vêtu d’une robe d’écarlate et décoré du bonnet de docteur en médecine, il loua, à son retour de Bologne, une maison dans la rue qu’on appelle aujourd’hui du Concombre. Ce maître Simon avait, entre autres défauts, la manie de demander à la personne qui se trouvait avec lui le nom et l’histoire de tous ceux qu’il voyait passer dans la rue, comme s’il eût dû composer d’après les faits et gestes des passants les médecines qu’il donnait à ses malades. Il remarqua principalement deux peintres, dont il a été déjà question plusieurs fois, qu’il voyait tous les jours ensemble et qui demeuraient dans son quartier. On devine que c’est de Lebrun et de Bulfamaque qu’il s’agit. Comme il les voyait toujours de belle humeur, toujours prêts à rire et à danser, il s’informa quelle était leur profession ; et apprenant qu’ils étaient peintres et pauvres, comme la plupart des gens de leur état, il alla se fourrer dans l’esprit qu’il n’était pas possible que des gens pauvres pussent être si contents et si joyeux, et qu’il fallait qu’ils eussent quelque ressource qu’on ne savait pas, d’autant plus qu’ils avaient la réputation d’être fins et rusés. Pour savoir ce qui en était, il résolut de faire leur connaissance, ou tout au moins celle de l’un d’eux. Il ne tarda pas à faire celle de Lebrun. Dans le premier entretien que celui-ci eut avec le médecin, il fut aisé de s’apercevoir que ce n’était rien moins qu’un sot et un parfait imbécile. Il s’amusa beaucoup de ses platitudes, et le médecin goûta les gentillesses du peintre, de manière que chacun trouva du plaisir dans cette nouvelle liaison. L’un se félicitait d’avoir rencontré un esprit facile et crédule, dont il pouvait se moquer et tirer parti dans l’occasion ; l’autre était enchanté de la connaissance d’un artiste charmant et plein d’esprit.

Le médecin, voulant découvrir les ressources qu’il supposait au peintre, l’invitait souvent à dîner, dans l’intention de se familiariser avec lui et de le faire parler. Un jour qu’il l’avait régalé, il prit sur lui de lui témoigner son étonnement de ce que Bulfamaque et lui étaient si gais et si contents, quoiqu’ils n’eussent pas de bien ni l’un ni l’autre. Il le pria de lui apprendre leur secret. Lebrun ne put s’empêcher de rire en lui-même d’une si sotte demande, et lui fit une réponse conforme à sa bêtise. « Notre maître, dit-il, je ne dirais pas à un autre comment nous faisons ; mais, comme vous êtes de mes amis, je ne ferai pas difficulté de vous le dire, à condition toutefois que vous me promettrez le secret. — Oh ! je vous jure de n’en jamais parler à personne, s’écria le docteur. — Vous voyez donc, reprit le peintre, comme Bulfamaque et moi vivons contents et joyeux : il n’est pourtant pas moins vrai que notre métier ne paye seulement pas l’eau que nous buvons. Nous ne vivons pas non plus de vols ni d’escroqueries : nous sommes d’honnêtes gens à qui la conscience n’a jamais rien reproché de ce côté-là. Ce qui nous donne à vivre, puisqu’il faut vous le dire, ce sont les courses où nous allons de temps en temps ; ces courses-là nous