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surpris de la constance de cet homme, fait des retours sur lui-même, et se dit : « Quelle étrange idée m’est aujourd’hui venue dans l’esprit ? D’où vient cette avarice, ce mépris ? Qui sait encore pour qui ? Ne m’est-il pas arrivé cent fois d’admettre à ma table le premier venu, sans examiner s’il était noble ou roturier, pauvre ou riche, marchand ou filou ? À combien de mauvais sujets n’ai-je pas fait politesse, qui peut-être étaient pires que celui-ci ? D’ailleurs, il n’est pas possible que ce mouvement d’avarice ait pour objet un homme de rien. Il faut nécessairement que ce soit un personnage d’importance, puisque je me suis ravisé de lui faire honneur. » Sur cela, il voulut savoir qui il était. Ayant appris que c’était Primasse, et qu’il venait pour être témoin de sa magnificence, dont il avait beaucoup ouï parler, l’abbé, qui le connaissait de réputation, rougit de son procédé, et n’épargna rien pour réparer sa faute. Il lui témoigna la plus grande estime, et lui fit tous les honneurs possibles. Après le dîner, il commanda qu’on lui donnât des habits convenables à un homme de son mérite, lui fit présent d’une bourse pleine d’or, et d’un très-beau cheval, lui laissant la liberté de passer chez lui tout autant de jours qu’il voudrait. Primasse, le cœur plein de joie et de reconnaissance, rendit un million de grâces à M. l’abbé, et reprit à cheval la route de Paris, d’où il était parti à pied. »

Messire Can de la Scale, qui ne manquait pas de pénétration, comprit aussitôt