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se disposait à la porter ainsi à la ferme, lorsque la servante, qui descendit la dernière, tomba de dessus l’échelle et se cassa une cuisse. Elle poussa un cri si effroyable, que le fermier fut obligé de poser la maîtresse sur un monceau d’herbe, pour aller secourir la domestique ; mais quand il vit qu’elle s’était cassé la cuisse, il la posa pareillement sur une pelouse, et revint à la dame. Ce nouveau malheur lui causa le plus violent chagrin, parce qu’elle espérait plus de secours de sa servante que de toute autre personne. Affligée outre mesure, elle recommença ses doléances avec tant d’excès, que le métayer non-seulement ne put la consoler, mais même se mit à pleurer avec elle. Madame Hélène, ne voulant pas que la nuit la surprît dans cet endroit, devenu si funeste à son repos, se fit porter à la maison du fermier, qui, accompagné de deux de ses frères, retourna chercher la servante. La femme du fermier donna ses soins à la veuve ; elle lava son corps avec de l’eau fraîche, lui fit prendre quelque nourriture légère, la déshabilla, la mit au lit et la fit transporter la nuit du lendemain à Florence, avec sa servante.

Madame Hélène, qui savait mentir, imagina un conte pour donner à cette double aventure un tour favorable dans l’esprit de ses frères. Elle leur fit accroire que la foudre était tombée sur elles et les avait ainsi maltraitées l’une et l’autre. On appela des médecins, qui eurent beaucoup de peine à lui rendre la santé ; sa peau demeura plusieurs fois attachée au drap de son lit. Ils rétablirent avec le temps la cuisse de la servante. La gaieté ne revint point avec la santé : madame Hélène oublia son amant, renonça à l’amour, et surtout à la plaisanterie.

Régnier, ayant appris que la servante avait eu la cuisse cassée, se crut assez vengé et en resta là. Il ne dit mot de l’aventure, moins par égard pour la veuve que pour sa propre réputation.

Voilà comment madame Hélène fut punie du tour qu’elle avait joué à Régnier ; elle ignorait sans doute de quoi sont capables les gens d’étude quand on les outrage. Ce sont des diables d’autant plus dangereux qu’ils sont plus instruits ; ainsi gardez-vous bien, mesdames, de jamais tromper un philosophe.