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comme au commun des femmes, de jeunes freluquets au teint frais, et qui ont à peine du poil au menton, parce qu’ils sont plus dispos, qu’ils dansent et jouent mieux que les autres. Apprends cependant que si les hommes qui sont un peu plus mûrs et qui ont la barbe garnie, sont moins vifs et vont plus lentement, ils vont du moins d’un pas réglé et soutenu, savent ce que les autres doivent encore apprendre. Les femmes coquettes et frivoles estiment les jeunes gens meilleurs chevaucheurs, parce qu’ils font plus de chemin en un jour que ceux d’un âge plus avancé ; j’avoue qu’ils sont plus ardents ; mais, en revanche, les hommes de moyen âge, plus expérimentés, connaissent mieux les endroits chatouilleux, et l’on doit préférer le bon et le solide au brillant de peu de durée. Le grand trot fatigue, quelque jeune qu’on soit ; mais le petit pas fait arriver au logis, quoiqu’un peu tard, sans la moindre lassitude. La plupart des femmes se laissent prendre aux apparences, sans considérer que les apparences sont trompeuses. Elles ne voient pas que les jeunes gens ne se contentent pas d’une maîtresse, et que leur grande vivacité doit naturellement les rendre changeants : tu en as fait toi-même l’expérience. Ils désirent de jouir de presque toutes les femmes qu’ils rencontrent, et s’imaginent que les caresses qu’on leur fait sont un tribut qu’on leur doit. De là vient leur peu de reconnaissance. Aussi font-ils consister leur gloire à publier les faveurs qu’ils ont reçues. C’est cette indiscrétion qui a engagé un grand nombre de femmes à s’abandonner à des moines, que la sainteté de leur état empêche d’être indiscrets. Détrompe-toi, si tu penses que tes amours ne soient connues que de ta servante et de moi : elles ont éclaté dans le public, et l’on ne parle d’autre chose dans ton quartier ; mais rien n’est plus ordinaire, dans les intrigues amoureuses, que de voir la personne intéressée être la dernière à savoir les bruits qui courent sur son compte. D’ailleurs les jeunes amants se font un plaisir de divulguer leurs aventures, et le tien n’aura sûrement pas gardé le secret sur son intrigue avec toi. Attire-le de nouveau dans tes filets, si tu peux ; quant à moi, tu dois y renoncer ; je suis à une autre pour la vie. J’aime une dame qui vaut plus que toi, de toutes les façons, et qui ne m’a point fait acheter ses faveurs par aucun vilain tour, parce qu’elle a su m’apprécier. Ainsi, si tu veux te jeter en bas, je puis t’assurer que je te verrai casser le cou sans regret et sans trouble. Tu m’obligeras même de te dépêcher, si tu es capable de faire un pareil saut ; mais puisque tu crains de perdre la vie et d’aller à tous les diables, qui te feraient bien plus souffrir que moi, tu n’as qu’à supporter avec patience l’ardeur du soleil ; et si tu la compares au froid que tu m’as fait endurer, tu conviendras que la peine n’est point encore proportionnée à l’offense.

— Puisque rien de ce que je vous ai dit ne peut vous émouvoir, reprit la dame en sanglotant de plus belle, laissez-vous du moins attendrir par considération pour l’objet qui vous a rendu plus de justice que moi. Je vous demande