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Le philosophe, impatient du désir de satisfaire son ressentiment, eut bientôt fait fabriquer une petite image ; il l’envoya à madame Hélène, avec une fable qu’il composa pour l’oraison ; il lui fit dire en même temps d’exécuter le projet la nuit suivante, sans y manquer. Pour compléter sa vengeance, il se rendit secrètement, accompagné de son domestique, dans la maison de campagne d’un de ses amis, peu éloignée de la vieille tour.

De son côté, la veuve, suivie de sa servante, prit le chemin de la métairie. La nuit venue, elle fait semblant de se coucher, et vers l’heure du premier somme, elle sort tout doucement du logis et s’en va à la rivière d’Arno, le plus près de la tour qu’il lui fut possible. Elle tourne ses regards de tous côtés ; et ne voyant ni n’entendant personne, elle se déshabille et cache ses habits derrière un buisson ; puis elle se baigne sept fois avec l’image qu’elle tient dans ses mains. Cela fait, elle marche vers la tour, où elle monte, tenant d’une main la petite figure, et s’appuyant de l’autre sur l’échelle, qui n’était pas trop bonne.

Régnier, qui s’était caché tout auprès avec son domestique parmi les saules, ne perdit aucun des mouvements de la dame. Elle passa même à deux pas de lui en se rendant à la tour. La blancheur de son corps, qui brillait dans l’obscurité de la nuit, la beauté de sa gorge, toutes ses autres parties, non moins belles, qu’il eut le temps de considérer, excitèrent en lui quelques mouvements de compassion, lorsqu’il se représenta que tout cela allait bientôt se flétrir et disparaître. D’un autre côté, l’aiguillon de la chair le pressa si vivement, qu’il sentit le dieu qui plaît si fort aux dames lever insolemment la tête et lui conseiller de sortir de l’embuscade pour voler dans les bras de la belle Hélène. Peu s’en fallut qu’il ne succombât à la tentation ; mais considérant, par un effort de courage, quelle était cette femme, et combien le tour qu’elle lui avait joué était sanglant, la haine et le désir de la vengeance reprirent le dessus et chassèrent la compassion et l’amour. Il laissa donc monter la dame sur la tour. Elle n’y fut pas plus tôt que, se tournant vers le nord, elle se mit à réciter la prétendue oraison. Dans le même temps, Régnier, s’étant approché sans bruit de la masure, ôta doucement l’échelle. La veuve, ayant répété sept fois les paroles convenues, attendait les deux demoiselles, et les attendit si longtemps qu’elle vit paraître l’aube du jour sans avoir reçu leur visite. La fraîcheur de la nuit lui faisait éprouver un froid qui lui donnait des craintes pour sa santé. Lassée de les attendre vainement, elle commence à se douter de la tromperie. « Il y a toute apparence, se disait-elle, que Régnier aura voulu se venger de la mauvaise nuit que je lui ai fait passer ; mais si tel a été son projet, je m’en console en songeant que j’ai souffert beaucoup moins de froid et moins longtemps que lui. Cette nuit est d’un grand tiers moins longue que ne le fut la sienne. »

Pour que le jour ne la surprît point là, elle voulut descendre ; mais quelle