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domestique, qui lui était sincèrement attachée, partageait sa douleur et aurait bien voulu la soulager ; mais elle ne savait comment s’y prendre. Comme elle voyait tous les jours Régnier passer sous les fenêtres de sa maîtresse, il lui vint dans l’esprit qu’un homme savant et philosophe tel que lui devait être versé dans l’art de la nécromancie et avoir quelque secret pour faire aimer. Elle crut donc qu’elle pourrait, par son secours, rappeler le galant de madame Hélène. Elle fit part de son idée à sa maîtresse, qui, sans considérer que, si Régnier avait le secret de faire aimer, il n’aurait pas manqué de s’en servir pour lui-même, donna dans la vision de sa servante, et l’engagea à lui parler à ce sujet et à lui promettre, de sa part, tout ce qu’il exigerait d’elle dans le cas du succès. La domestique s’acquitta de la commission, et notre philosophe bénit le ciel de ce qu’il allait avoir une belle occasion de punir cette méchante femme de tout le mal qu’elle lui avait fait, pour prix de son amour. « Tu diras à ta maîtresse de ne plus se chagriner. Quand son amant serait dans le fond des Indes, je l’en ferais revenir et le forcerais d’aller se jeter à ses genoux pour lui demander pardon de son infidélité. Il ne s’agit que de faire ce que je prescrirai ; mais il faut que j’instruise moi-même ta maîtresse, et ce sera quand elle le jugera à propos. Je m’estimerai trop heureux de pouvoir faire quelque chose qui lui soit agréable. »

Madame Hélène, informée des dispositions de Régnier, lui fit savoir qu’ils pourraient se voir et se parler à Sainte-Luce del Prato, et ils s’y rendirent l’un et l’autre au jour convenu. Sans songer à la mauvaise nuit qu’elle lui avait fait passer et qui lui avait causé une si dangereuse maladie, la dame ne fit aucune difficulté de lui ouvrir son cœur, de lui en montrer toute la faiblesse, et elle le supplia de vouloir bien la secourir. « Je vous avoue, madame, dit notre philosophe, qui sentit son ressentiment redoubler par tous les aveux qu’il venait d’entendre, je vous avoue que de toutes les sciences que j’ai apprises à Paris, la nécromancie est celle à laquelle je me suis le plus attaché et celle où j’excelle le plus. Je vous avoue aussi que, comme cette science offense Dieu, j’avais juré de ne jamais m’en servir ni pour moi ni pour autrui ; mais l’amour que vous m’avez inspiré, tout malheureux qu’il a été jusqu’à ce jour, vous donne un tel empire sur mon esprit et sur mon cœur, que je ne puis vous rien refuser. Dussé-je, par rapport à vous, aller à tous les diables, je ferais ce que vous désirez ; mais je vous préviens que ce que vous me demandez est précisément ce qu’il y a de plus difficile dans l’art de la nécromancie. Vous saurez, de plus, qu’il faut que la personne qui veut ramener celui qu’elle aime, agisse elle-même, et qu’elle n’ait point peur ; car tout se fait la nuit, sans témoin, dans un endroit isolé : or, je doute fort que vous soyez disposée à remplir toutes ces conditions, sans lesquelles l’enchantement ne saurait avoir son effet. » La belle, plus amoureuse que sage, lui répondit : « Je suis tellement éprise de celui qui