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de la nuit. Indigné de la perfidie dont il était victime, et voulant mettre fin à ses souffrances, il essaya d’ouvrir la porte par où il était entré ; vains efforts ! tout fut inutile. Furieux de ne pouvoir sortir, son amour fit place à la plus forte haine. Il ne s’occupa plus que des moyens de se venger, et se promit bien d’en saisir la première occasion.

Cependant le jour s’approchait. Il commençait à poindre, lorsque la domestique, instruite par sa maîtresse, descendit pour faire de grandes excuses à Régnier, qui était plus mort que vif. Elle feignit d’être touchée de compassion pour son état. « Que la peste emporte, lui dit-elle, le frère de madame, qui ne nous a pas quittées d’un moment ! il est cause que je ne me suis point couchée et que vous êtes gelé ; vous ne sauriez croire, monsieur, tout ce que j’ai souffert en mon particulier de vous savoir exposé au mauvais temps ; mais ne perdez point courage, vous ne serez pas si malheureux une autre fois. Il faut espérer que ma maîtresse, qui est inconsolable du contre-temps survenu, se fera un plaisir de vous dédommager, le plus tôt qu’elle pourra, de tout ce que vous avez souffert. » Régnier, qui n’était pas homme à être trompé deux fois, et qui n’ignorait pas que les menaces étaient autant d’armes pour la personne menacée, n’eut garde de laisser voir son indignation ; il sut réprimer et dissimuler son ressentiment, dans l’espérance de le mieux satisfaire, et se contenta de lui dire, d’une voix presque éteinte, que de sa vie il n’avait passé une si cruelle nuit, mais que, comme il était persuadé qu’il n’y avait point de la faute de madame Hélène, il s’en consolait dans l’espérance qu’elle lui tiendrait compte de ce qu’il avait enduré. « Je te prie, ajouta-t-il en la quittant, de me rappeler dans son souvenir et de me ménager ses bonnes grâces ; je saurai reconnaître tes services. »

Accablé de fatigue et de froid, Régnier fut à peine de retour chez lui, qu’il se mit au lit. Il eut beaucoup de peine à se réchauffer, il s’endormit, et, à son réveil, il se trouva presque perclus de tous ses membres. Les bras et les jambes lui faisaient un mal horrible. Il appela les médecins, qui désespérèrent de pouvoir le rétablir. Le froid l’avait tellement saisi, que ses nerfs s’étaient retirés. Sa jeunesse, son bon tempérament et les soins des enfants d’Esculape le tirèrent enfin d’affaire.

Quand sa santé fut entièrement rétablie, le cœur toujours ulcéré du tour cruel qui la lui avait fait perdre, il crut, pour être mieux à portée de se venger, devoir continuer le rôle d’amoureux auprès de madame Hélène, quoiqu’il eût pour elle plus de haine qu’il n’avait jamais éprouvé d’amour. La fortune ne tarda pas à lui fournir une belle occasion d’exercer sa vengeance. L’amant de cette veuve, naturellement inconstant, ou ennuyé d’une si longue galanterie, la quitta pour une autre femme dont il s’était épris. Cet abandon pensa la désespérer. Elle passait ses jours dans les regrets, les gémissements et les larmes. Sa