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faire si longtemps attendre, dans un lieu si exposé au froid ; mais un de ses frères, qui est venu souper avec elle, n’est pas encore sorti. Elle n’en sera pas plutôt débarrassée qu’elle ira vous joindre : ainsi ne vous impatientez pas. — Dis à ta belle maîtresse, répondit le bon Régnier, qui était loin de penser qu’on se jouait de sa passion, de ne se point inquiéter de moi ; ajoute-lui seulement que je la supplie de venir le plus tôt qu’il lui sera possible. Je souffre moins du froid que de l’impatience de ne la point voir paraître. »

« Eh bien ! dit alors la dame au galant, penses-tu que si j’aimais tant soit peu ce prétendu sage, je le laissasse ainsi se geler et se morfondre ? » Le galant, rassuré par tout ce qu’il voyait, engagea sa maîtresse à se coucher ; et pendant qu’il goûtait avec elle les plaisirs les plus doux, Régnier, le malheureux Régnier, trouvait le temps bien long. Il se promenait pour se réchauffer, n’ayant aucun réduit pour se mettre à l’abri, maudissait la rigueur de la saison, et pestait contre le frère de la veuve de ce qu’il demeurait si longtemps avec elle. S’il entendait le moindre bruit, il se figurait que c’était la dame qui venait lui ouvrir ; mais, vaine erreur ! personne ne paraissait. Minuit sonne. La dame dit à son amant : « Que penses-tu de notre philosophe ? ne trouves-tu pas que l’amour qu’il a pour moi est de beaucoup supérieur à ses lumières et à sa sagesse ? crois-tu que le froid que je lui fais endurer éteigne sa flamme amoureuse ? — Elle s’éteindrait à moins, je vous jure, répondit le galant. Je vois à présent que j’avais tort d’être jaloux de ce bel esprit ; il m’est impossible de douter de ta fidélité ; tu dois compter aussi sur la mienne. Je sens mon amour redoubler pour toi ; tu seras toute ma vie l’unique objet de mes désirs ; plutôt mourir que de cesser de t’aimer ! » Ces paroles furent accompagnées de mille caresses passionnées qui les plongèrent l’un et l’autre dans une douce ivresse. Pour varier leurs plaisirs, ils voulurent régaler leurs yeux de la souffrance de Régnier. Ils se lèvent donc, retournent à la fenêtre, et voient le