Page:Boccace - Contes de Boccace, trad De Castres, 1869.djvu/481

Cette page n’a pas encore été corrigée

lui, et le redresser de la bonne manière, tu lui diras, quand tu auras occasion de lui parler, que je suis très-flattée de l’amour qu’il me témoigne, mais que mon honneur me défend de le recevoir ; que je veux pouvoir marcher tête levée, comme toutes les femmes honnêtes ; qu’il m’est par conséquent impossible de répondre à son amour ; et que s’il est aussi sage qu’il en a la réputation, il m’en estimera davantage. » Femme insensée ! vous ignorez donc combien il est dangereux d’irriter un homme de lettres ! Que vous allez vous préparer de chagrin !… Mais n’anticipons point sur les événements.

La domestique ne tarda pas à revoir Régnier. Elle lui fit part aussitôt de la réponse de sa maîtresse ; cette réponse lui parut assez favorable pour en concevoir les meilleures espérances. Il redoubla les supplications, écrivit des lettres pleines de feu et les accompagna de présents.

Tout cela fut bien reçu ; mais on n’y fit que des réponses vagues ; par ce moyen, la veuve l’amusa fort longtemps. Elle crut enfin devoir découvrir cette espèce d’intrigue à son amant, qui en prit quelque jalousie. Madame Hélène, pour lui prouver combien ses craintes étaient déplacées, d’accord avec lui, envoya dire à Régnier que, n’ayant pu rien faire pour lui depuis qu’il lui avait déclaré son amour, elle se flattait qu’aux prochaines fêtes de Noël elle pourrait lui donner un rendez-vous ; qu’il lui tardait infiniment d’arriver à ce moment désiré, et qu’ainsi, s’il voulait se rendre dans la cour de sa maison, la nuit d’après Noël, elle l’irait trouver le plus tôt qu’il lui serait possible.

Le philosophe amoureux fut au comble de la satisfaction, et l’on imagine sans peine qu’il ne manqua point de se trouver au rendez-vous. Il fut introduit par la servante dans la cour, et y fut renfermé pour y attendre la dame, exposé à toutes les injures de la saison. Elle avait fait venir ce soir-là son cher amant ; et, après avoir soupé avec lui et l’avoir caressé plus que de coutume, elle lui fit part du tour qu’elle se proposait de jouer à son rival. « Il te sera facile de juger, lui dit-elle, si je l’aime et si je puis avoir eu pour lui la moindre complaisance. » Elle lui apprit en même temps qu’il était enfermé dans la cour, où elle prétendait lui faire passer la nuit, pour refroidir un peu sa passion. L’amant fortuné ne se possédait pas de joie ; il lui tardait de voir son rival se morfondre d’amour et de froid. Il était tombé le jour précédent une si grande quantité de neige, que la cour en était couverte ; de sorte que Régnier n’en pouvait presque plus de froid au bout d’une demi-heure ; mais l’espérance de se dédommager avec celle qu’il aimait lui faisait supporter son mal en patience. Il y avait plus d’une grosse heure qu’il attendait, quand la méchante veuve mena son amant à une petite fenêtre de sa chambre à coucher, d’où ils pouvaient voir Régnier au clair de la lune, sans en être vus. Elle envoya en même temps sa servante à une autre fenêtre, pour dire de sa part à l’amoureux philosophe de ne pas s’impatienter. « Ma maîtresse est bien fâchée, lui dit-elle, de vous