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nous régaler une seule fois de l’argent que tu en as retiré ; sois sûr que je n’ai pas été dupe un seul instant de ton avarice. » Le pauvre Calandrin, la bouche encore pleine du goût amer de l’aloès, jura sur sa foi qu’il n’en avait aucunement imposé. « L’as-tu vendu bien cher ? continua Bulfamaque : t’en a-t-on donné six écus ? » Calandrin se désespérait. « On m’a assuré, lui dit Lebrun, que tu entretiens une fille dans ce voisinage : n’est-ce point à cette maîtresse que tu aurais donné ton pourceau ? Tu es un peu railleur de ton naturel, et bien capable de jouer de pareils tours ; témoin la plaine de Mugnon, où tu nous menas chercher des pierres noires. Te souviens-tu qu’après nous avoir bien fait courir, tu nous quittas en nous faisant accroire que tu avais trouvé une de celles qui rendent invisible ? Tu voudrais à présent nous persuader par tes serments que le pourceau t’a été volé ; nous connaissons ta malice, et nous saurons désormais à quoi nous en tenir. » Mais, comme nous ne voulons point avoir pris une peine inutile, nous exigeons, pour dédommagement du sortilège que nous avons fait, que tu nous donnes deux couples de chapons, sinon tu ne trouveras pas mauvais que nous informions ta femme de tout ce qui s’est passé. »

Calandrin, voyant qu’on s’obstinait à ne le point croire, et craignant avec raison les reproches et les criailleries de sa femme, qui n’eût pas manqué d’ajouter foi à la calomnie dont on le menaçait de le noircir auprès d’elle, donna les quatre chapons aux deux voleurs, qui firent saler le cochon et l’emportèrent à Florence, sans avoir la moindre pitié du malheureux à qui ils l’avaient dérobé.


NOUVELLE VII

LE PHILOSOPHE VINDICATIF

Il n’y a pas longtemps qu’il y avait à Florence une jeune dame, noble de naissance, nommée Hélène. Elle était belle, bien faite et fort riche. Devenue veuve peu de temps après son mariage, elle ne voulut point se remarier, parce qu’elle aimait l’indépendance et qu’elle vivait d’ailleurs avec un beau jeune homme qui lui tenait lieu de mari. Elle passait avec lui des moments délicieux, par l’intrigue de sa domestique qu’elle avait mise dans sa confidence.

Dans ce même temps un jeune gentilhomme florentin, nommé Régnier, qui avait fait ses études à Paris, revint à Florence, non pour y faire étalage de son savoir, mais pour y jouir paisiblement des connaissances qu’il avait acquises.