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femme n’ajoutera aucune foi à ce vol, et Dieu sait le train qu’elle va faire. — Si la chose est vraie, repartit Lebrun d’un air sérieux, il faut avouer que c’est une bien grande méchanceté de la part de ceux qui t’ont joué ce tour ; mais comme je te conseillai hier au soir de vendre ton cochon et de dire ensuite qu’on te l’avait dérobé, je craignais que tu ne voulusses te moquer de nous ; je crois même encore que ton intention est de nous jouer comme les autres. — Faut-il que je me donne à trente-six mille diables pour vous persuader une chose si simple ? Au bout du compte, vous me feriez blasphémer Dieu et tous les saints du paradis ; je vous dis et vous répète que le cochon m’a été volé cette nuit. — Cela étant, dit alors Bulfamaque, il faut tâcher de le retrouver, s’il est possible. — C’est là précisément la difficulté, dit Calandrin. — Il faut croire, reprit Bulfamaque, que les Indiens ne sont pas venus cette nuit te dérober ton pourceau : c’est sûrement quelqu’un de tes voisins. Si tu pouvais les rassembler, je sais faire un charme avec du pain et du fromage, par le moyen duquel nous découvrirons sur-le-champ le voleur. — Bagatelle ! dit Lebrun ; je veux croire à l’efficacité du sortilège ; mais ceux qui ont fait le vol se donneront bien de garde d’y assister.

— Que faut-il donc faire ? répond Bulfamaque ? — Ce qu’il faut faire ? ajoute Lebrun : il faut se procurer des pilules de gingembre, puis il faut avoir de la verdée excellente : on les invitera à en boire ; ils viendront sans savoir quel est notre projet, et on pourra charmer les pilules aussi bien que le pain et le fromage. — C’est fort bien vu, reprit Bulfamaque ; qu’en penses-tu, mon cher Calandrin ? — Vous m’obligerez infiniment, répondit-il, d’employer votre savoir à découvrir le voleur ; il me semble que je serais à demi consolé si je savais qui a fait le coup. — Je suis déterminé, dit Lebrun, pour te rendre service, d’aller moi-même à Florence acheter tout ce qu’il faut, si tu me donnes l’argent nécessaire. » Calandrin avait sur lui une quarantaine de sols qu’il lui remit aussitôt, en le priant de faire toute la diligence possible.

Lebrun arrive à Florence, s’en va chez un apothicaire de ses amis, achète une livre de pilules de gingembre, en fait faire deux d’excrément de chien, qu’il fit pétrir avec de l’aloès et couvrir de sucre, comme toutes les autres. Pour distinguer les deux dernières, il leur fit mettre une marque assez sensible pour ne pas les confondre avec celles de gingembre ; et, après avoir acheté un grand flacon de bonne verdée, il revint au village. « Allons, dit-il à Calandrin, va inviter, pour demain, à déjeuner tous ceux que tu soupçonnes, et comme c’est précisément jour de fête, ils se rendront volontiers à ton invitation ; pendant ce temps, Bulfamaque et moi charmerons les pilules, et nous t’apporterons le tout de grand matin. Je me chargerai aussi, pour te faire plaisir, de les présenter moi-même aux convives, et ferai et dirai tout ce qu’il faut dire et faire pour le succès du sortilège. »