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Monsieur le curé dira qu’il nous régale ; nous lui rembourserons ensuite notre part de la dépense. Il n’est pas douteux que notre homme ne s’en donne alors jusqu’au col. Quand nous l’aurons ainsi enivré, il nous sera facile de lui enlever le pourceau, sans qu’il puisse se douter que ce soit nous. Courons le rejoindre. »

Calandrin n’eut pas plutôt appris que le curé payait pour tous, qu’il ne fit aucune difficulté d’aller au cabaret. Il trouva le vin excellent et il en prit tant qu’il en put porter. Il était près de minuit lorsqu’on se sépara. Calandrin se retira chez lui, pouvant à peine se soutenir sur ses jambes ; et, après avoir mis beaucoup de temps à ouvrir sa porte, il se coucha tout vêtu, sans songer à la refermer.

Lebrun et Bulfamaque, qui s’étaient ménagés, allèrent achever leur souper chez monsieur le curé, qui, pour leur donner plus de forces, leur fit fort bonne chère. Une heure après, ils se munissent de quelques outils pour venir plus aisément à bout d’ouvrir la porte de la maisonnette de Calandrin ; mais ils n’eurent pas la peine de s’en servir, puisqu’ils la trouvèrent ouverte. Ils entrent à la sourdine, et pendant que notre homme ronflait, ils enlèvent le cochon et le portent incontinent, et sans être vus de personne, chez monsieur le curé, qui attendait leur retour pour se coucher.

Il était jour depuis plusieurs heures quand Calandrin s’éveilla. Il se lève, et trouvant sa porte ouverte, il court vite au réduit où le pourceau était pendu ; et ne l’y voyant point, il pousse un cri de surprise et de douleur et demeure quelque temps interdit et immobile. Ayant repris ses sens, il court chez ses voisins pour s’informer s’ils n’auraient pas vu celui qui le lui avait dérobé. Personne n’ayant pu lui en donner la moindre nouvelle, il déplore son triste sort, il se lamente, il jure, il crie et verse un torrent de larmes.

Lebrun et Bulfamaque ne sont pas plutôt levés qu’ils vont chez lui pour s’amuser de son chagrin. « Que je suis malheureux, mes amis, leur dit-il les larmes aux yeux d’aussi loin qu’il les vit, on m’a volé mon pourceau ! — À merveille, notre ami ! lui dit Lebrun à l’oreille ; sois rusé au moins une fois en ta vie, et dis toujours de même. — Je ne plaisante en vérité point ; ce que je vous dis n’est que trop vrai. — Fort bien ; surtout fais beaucoup de bruit, afin de mieux persuader ton monde. — La peste m’étouffe, si j’en impose ! on m’a volé mon cochon, vous dis-je, rien n’est plus certain. — Bravo, mon cher ami ! voilà comme tu viendras à bout de le faire croire. — J’enrage de voir que vous imaginez que je fais le fin ; je veux être pendu et aller à tous les diables, si je ne dis vrai. On m’a dérobé le cochon sans en rien laisser ; c’est la pure vérité. — Mais comment se peut-il ? reprit Lebrun, nous le vîmes hier dans cet endroit-là, voudrais-tu sérieusement nous faire accroire qu’il s’est envolé ? — Il ne s’est point envolé, mais on me l’a volé. — Quel conte ! — Encore un coup, rien n’est plus certain ; je suis ruiné, je n’oserai jamais retourner à la ville : ma