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de sa robe ; mais Macé et Ribi, qui la tiennent serrée au lieu de la lâcher, l’écartent davantage et crient à pleine tête, chacun de son côté : « C’est vilain à vous, monsieur, de refuser de me rendre justice et de m’entendre. Pourquoi donc vouloir vous retirer ? la coutume de cette ville n’est pas d’écrire pour des affaires de cette nature. » Enfin, ils le retinrent assez longtemps pour que tous ceux qui étaient à l’audience s’aperçussent que la culotte lui était tombée sur les pieds, et vissent à découvert ce qu’on devine aisément. Ce ne furent plus que de grands éclats de rire dans toute l’assemblée. Ribi, jugeant qu’on avait assez ri, lâcha la robe et se retira en disant au juge : « Je vous promets, monsieur, de m’adresser au syndic. » Macé dit qu’il n’en appellerait point ailleurs, mais qu’il reviendrait pour lui demander justice dans un moment où il serait moins occupé. Ils s’enfuirent ainsi l’un et l’autre, et allèrent rejoindre Matthias, qui s’était enfui après avoir fait son coup.

Le juge, un peu revenu de sa surprise, remit sa culotte ; et ne doutant pas que ce ne fût un tour qu’on lui avait joué, demanda avec instance ce qu’étaient devenus les deux voleurs. On lui répondit qu’ils étaient déjà loin. Voyant qu’ils avaient échappé à son ressentiment, il se mit en colère et jura qu’il saurait si les Florentins étaient dans l’usage de baisser la culotte de leur juge quand il était sur son siège. Le podestat, qui fut bientôt instruit de l’aventure, cria beaucoup contre cette insolence ; mais il se radoucit, après que ses amis lui eurent fait entendre que les Florentins n’avaient agi de la sorte que parce qu’ils étaient persuadés qu’au lieu d’amener d’honnêtes gens éclairés il n’avait choisi que des sots, pour n’être point obligé de leur donner de forts appointements. Comme cette observation n’était que trop bien fondée, il ne crut pas devoir faire des recherches pour découvrir les coupables, et ne poussa pas plus loin cette affaire, dont le principe ne lui faisait point honneur.


NOUVELLE VI

LE SORTILÉGE OU LE POURCEAU DE CALANDRIN

Puisqu’il a été déjà question du crédule Calandrin et de ses bons amis Lebrun et Bulfamaque, je ne m’amuserai point à vous mettre au fait de leur caractère. Il me suffira de vous dire que le premier avait dans le voisinage de Florence une petite maison de campagne, le seul bien que sa femme lui eût apporté en dot. Entre autres choses, il retirait tous les ans de cette espèce de