Page:Boccace - Contes de Boccace, trad De Castres, 1869.djvu/469

Cette page n’a pas encore été corrigée

manière contraire à mes principes, qui sont ceux de la religion et de l’honnêteté. »

Une pareille réponse ne déconcerta pas le prévôt. Il ne s’était point flatté, malgré sa grande présomption, de subjuguer la veuve dans un premier entretien. Il revint plusieurs autres fois à la charge par lettres et par ambassades, et même de vive voix, quand il pouvait la rencontrer à l’église ou quelque autre part ; tant qu’à la fin la dame, fatiguée de ses importunités, résolut de s’en débarrasser par un tour cruel, puisqu’il n’y avait pas moyen de lui faire entendre raison par l’honnêteté. Mais, avant de rien entreprendre, elle crut devoir communiquer son projet à ses frères, qui l’approuvèrent, après qu’elle les eut informés de toutes les démarches du prévôt.

Quelques jours après, madame Picarde alla, comme de coutume, à l’église cathédrale. Le vieux chanoine ne l’eut pas plutôt vue qu’il se hâta de l’aborder pour lui renouveler ses importunes sollicitations. Il la prend à l’écart, et après l’avoir sollicitée quelque temps, la belle pousse un profond soupir et paraît attendrie. « Il est bien difficile, dit-elle ensuite, qu’une citadelle qui a tous les jours de nouveaux assauts à soutenir, ne se rende à la fin. C’est ce que je viens d’éprouver. Oui, vous avez vaincu ma résistance, et je consens d’être à vous. — Je puis vous assurer, madame, reprit le chanoine au comble de la joie, que vous n’aurez pas lieu de vous en repentir. Ce qui m’étonne, c’est que vous ayez fait une si longue défense. Jamais femme ne m’avait résisté si longtemps. Si je n’ai pas perdu courage, c’est que j’étais sûr que vous finiriez par m’aimer. La question est de savoir quand et où nous pourrons nous trouver. — Ce sera quand il vous plaira, dit la veuve : je n’ai point de mari à craindre. Mais, pour ce qui est du rendez-vous, je ne sais trop quel lieu choisir. — Et pourquoi n’irais-je pas chez vous ? répliqua le vieux chanoine. — Chez moi ? la chose n’est guère possible : vous savez, monsieur, que ma maison n’est pas fort vaste, et que mes deux frères n’en bougent presque ni jour ni nuit. Ils ont d’ailleurs le plus souvent compagnie. Il est vrai qu’ils n’entrent que bien rarement dans ma chambre ; mais elle est si proche de la leur, qu’à moins de vouloir vous y tenir dans l’obscurité et sans dire mot ni faire le moindre bruit, il n’y a pas moyen de vous y recevoir. On entend de l’une tout ce qui se dit dans l’autre, quelque bas qu’on puisse parler. Voyez d’après cela si vous vous sentez le courage d’y venir et d’y être muet. — Qu’à cela ne tienne, une nuit est bientôt passée, et, dans ces sortes de rencontres, la langue n’est pas toujours la chose dont on a le plus besoin. Nous pouvons en essayer, en attendant que nous trouvions un endroit moins gênant. Je me flatte donc, madame, que vous voudrez bien ne pas laisser passer la nuit suivante sans couronner mon amour. — Soit, dit la veuve ; mais le secret sur toutes choses, monsieur le prévôt. — Vous pouvez y compter, madame ; les gens d’Église sont discrets, et je me pique de