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NOUVELLE IV

LE PRÉSOMPTUEUX HUMILIÉ

Personne de vous n’ignore que la ville de Fiésole, dont on découvre d’ici la montagne, est une des plus anciennes villes d’Italie. Quoiqu’elle n’offre aujourd’hui presque que des ruines, il n’est pas moins vrai qu’elle fut autrefois très-grande, très-peuplée, et que l’évêché qu’il y a encore est de temps immémorial. Or, auprès de l’église cathédrale de cette ville demeurait, il y a quelques années, la veuve d’un gentilhomme. On la nommait madame Picarde. Comme elle n’était pas riche, elle faisait son séjour ordinaire à la ville, dans une petite maison qui lui appartenait, et qu’elle partageait avec deux de ses frères, estimés et chéris de tout le monde. Cette dame avait encore assez de jeunesse, de beauté et d’agrément pour faire naître des passions. Le prévôt de la cathédrale, qui la voyait fréquemment à l’église, en devint si amoureux, qu’il ne trouvait rien d’aussi charmant que cette veuve. Il ne fut pas longtemps sans lui déclarer les sentiments qu’elle lui avait inspirés, et la supplia de vouloir bien les payer d’un tendre retour. Quoique le chanoine fût déjà vieux, il n’en était ni plus raisonnable, ni plus honnête. Sa présomption et son audace le rendaient insupportable auprès des femmes, et jamais homme ne fit une déclaration de si mauvaise grâce. En un mot, il avait un caractère et une figure si désagréables, qu’il n’y avait pas moyen de l’aimer. Madame Picarde, qui connaissait parfaitement l’humeur de cet homme, bien loin d’être flattée des sentiments qu’il lui témoignait, passa de l’indifférence à la haine ; mais, comme elle avait autant de politesse que de vertu, elle crut devoir lui adoucir l’indignation qu’il venait de lui inspirer, et se contenta de lui répondre qu’elle ne pouvait lui savoir mauvais gré de son amitié, et qu’elle lui promettait volontiers la sienne, pourvu qu’il n’eût que des intentions honnêtes : ce qu’elle était portée à croire, puisqu’il était son père spirituel, prêtre, et déjà sur l’âge, trois motifs qui devaient l’engager à être chaste et continent. « D’ailleurs, ajouta-t-elle, je ne suis plus d’âge à avoir des intrigues amoureuses avec qui que ce soit. Mon état de veuve m’oblige à plus de retenue que les autres femmes, et je dois fuir tout ce qui sent la galanterie. Ainsi, trouvez bon que je m’en tienne toujours, avec vous, à la simple amitié. Je ne puis ni ne veux vous aimer comme vous pourriez l’entendre, et vous m’obligerez beaucoup de ne pas m’aimer non plus d’une