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amis, qui furent bientôt prêts. Ils sortirent tous trois par la porte de Saint-Gal, et arrivèrent de fort bonne heure à la plaine de Mugnon. Calandrin, qui brillait d’envie de trouver ladite pierre, marchait toujours le premier, allant tantôt d’un côté, tantôt d’un autre, et se jetant avec précipitation sur toutes les pierres noires qu’il rencontrait. Lebrun et Bulfamaque allaient après lui, et pour mieux lui en imposer, en ramassaient quelques-unes. Quand notre bon imbécile en eut plein son sein, ses poches et son manteau, Lebrun, voyant que l’heure du dîner approchait, demanda à son compagnon, ainsi qu’il en était convenu avec lui : « Où est donc allé Calandrin ? » Bulfamaque, qui le voit tout près de lui, tourne sa tête de tous côtés, et feignant de ne pas le voir : « Je n’en sais rien, répondit-il, mais il était là tout à l’heure.

— Que dis-tu tout à l’heure ? reprit Lebrun : je suis sûr qu’il s’en est retourné chez lui, et que, profitant de notre application à chercher, il est allé dîner sans daigner nous en avertir. — Il a fort bien fait, repartit Bulfamaque, de nous jouer ce tour ; puisque nous avons été assez simples pour le suivre dans cette plaine, nous n’avons que ce que nous méritons. Quels autres que nous, en effet, auraient été assez imbéciles pour se laisser persuader qu’on trouve ici des pierres qui ont la vertu de rendre invisibles ceux qui les portent sur eux ? »

Calandrin écoutait leur conversation avec la plus grande joie, et, ne doutant point qu’il n’eût trouvé la pierre, il résolut de s’en retourner sans rien dire. Il leur tourna le dos et prit le chemin de la ville. « Que faisons-nous ici ? continua Bulfamaque. Pourquoi ne pas nous en retourner comme il l’a fait ? — Je le veux bien ; mais je te jure que notre ami ne m’en fera plus accroire : je suis furieux du tour qu’il nous a joué. Que n’est-il encore assis près de nous ? je lui lancerais cette pierre dans les talons ; » et en même temps il la lui jette aux jambes. Calandrin sentit vivement le coup ; cependant il ne dit mot, et après s’être gratté l’endroit où la pierre l’avait atteint, il double le pas et gagne chemin. Bulfamaque prend une seconde pierre, et la montrant à Lebrun : « J’enrage, lui dit-il, que ce faquin se soit ainsi moqué de notre crédulité ; s’il était ici, je lui donnerais de ce caillou sur le dos ; » et en disant cela il le lui jette justement à l’endroit qu’il avait dit. Ils le suivirent ainsi à coups de pierres, depuis la plaine de Mugnon jusqu’à la porte de Saint-Gal, où ils jetèrent à terre celles qui leur restaient. Ils s’arrêtèrent avec les gardes, qui, prévenus du fait, firent semblant de ne point voir Calandrin quand il passa au milieu d’eux. Celui-ci, voyant qu’on l’avait laissé passer sans lui rien dire, était au comble de la joie. Il alla droit à sa maison, située près du coin des moulins. Il passa le long de la rivière, et le hasard voulut qu’il arrivât chez lui sans que personne lui dît un seul mot, quoiqu’il fût chargé comme un mulet. Il est vrai qu’à cette heure-là il y avait peu de monde dans les rues, parce que c’était justement l’heure du dîner. Mais sa femme, nommée Tesse, se trouva malheureusement sur la montée. Elle