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la plaine de Mugnon, se trouve une pierre qui a la vertu de rendre invisible celui qui la porte sur soi ; ainsi, je suis d’avis que nous allions la chercher sans délai : nous la trouverons, je vous en assure ; je sais comme elle est faite. Quand nous l’aurons trouvée et mise dans notre poche, qui pourra nous empêcher d’aller chez ces gros banquiers dont les comptoirs sont, comme vous le savez, toujours pleins de ducats, et d’en remplir nos poches ? nous ne serons vus de personne. Par ce moyen, nous deviendrons riches en fort peu de temps, et nous n’aurons plus la peine de barbouiller des murailles tout le long du jour comme font les limaçons. »

Lebrun et Bulfamaque ne purent entendre ces extravagances sans en rire eux-mêmes. Ils auraient éclaté, s’ils n’avaient voulu prolonger leur amusement. Feignant donc d’être surpris du discours de cet imbécile, ils louèrent la sagesse de son projet ; après quoi, Bulfamaque lui demanda comment on nommait cette pierre merveilleuse. Calandrin, qui n’avait pas plus de mémoire que de jugement, en avait déjà oublié le nom. Qu’avons-nous affaire, répondit-il, de savoir comment on la nomme, pourvu que nous connaissions sa vertu et que nous puissions nous la procurer ? Je la connais, il n’en faut pas davantage. Si vous voulez me croire, nous irons sur-le-champ la chercher. Comment est-elle donc faite ? dit Lebrun. — Il y en a de différentes grosseurs ; mais toutes sont de couleur noirâtre. Pour ne pas nous tromper, nous ramasserons celles qui approchent de la couleur noire, jusqu’à ce que nous ayons rencontré la véritable. Allons, mes amis, ne perdons point de temps. — Un peu de patience, dit Lebrun. » Puis, se tournant vers son camarade : « Il me paraît, lui dit-il, que notre ami raisonne très-juste ; mais il me semble aussi que ce n’est pas une heure propre à cette recherche : le soleil est à présent si chaud, et donne si aplomb sur la plaine de Mugnon, que je suis persuadé qu’il doit avoir calciné les pierres qu’il peut y avoir, et que celles qui sont naturellement noires nous paraîtraient blanches. D’ailleurs, comme c’est aujourd’hui un jour ouvrable, nous pourrions rencontrer dans cette plaine des gens qui, devinant notre dessein, chercheraient aussi bien que nous, et auraient peut-être plus de bonheur. Ainsi, je suis d’avis que nous remettions la partie à demain matin, qui est un jour de fête, si toutefois vous le trouvez à propos. » Bulfamaque approuva le conseil de son camarade, et Calandrin imita, comme de raison, son exemple. Il les pria instamment l’un et l’autre de bien garder le silence sur cette chose, qui ne lui avait été confiée que sous le secret. Il leur conta en même temps tout ce qu’il avait entendu dire du pas de Basque, jurant comme un païen qu’il n’y avait rien de plus vrai.

Après que Calandrin se fut retiré, les deux peintres concertèrent la conduite qu’ils tiendraient le lendemain avec lui, pour se bien divertir de son excessive crédulité. Cet original fut sur pied dès le point du jour. Il courut éveiller ses