Page:Boccace - Contes de Boccace, trad De Castres, 1869.djvu/461

Cette page n’a pas encore été corrigée

et qu’on jette ensuite en bas aux passants ; et plus en a, qui plus en attrape. Au pied de cette montagne, coule un ruisseau de vin de Malvoisie, auquel il ne se mêle jamais une goutte d’eau. — Oh ! le bon pays ! s’écrie Calandrin ; mais, dites-moi, je vous prie, ce qu’on fait des chapons dont le jus sert à faire des biscuits ? — Ce qu’on en fait ? les Basques les mangent tous. — Avez-vous été dans ce pays-là ? — Si j’y ai été ? oh ! je vous en réponds : plus de mille fois. — Est-ce bien loin d’ici ? — Il y a plus de mille lieues. — Il est donc encore plus loin que la Brusse. — Assurément. »

Calandrin, voyant que Macé disait tout cela d’un grand sang-froid, le crut comme un article de foi. « C’est trop loin pour moi, ajouta-t-il ; autrement je serais ravi d’y aller avec vous, pour avoir le plaisir de voir faire la culbute à ces macaronis, à ces biscuits, et d’en attraper une bonne quantité. Mais ayez la bonté de me dire si l’on trouve dans ce pays si singulier les pierres dont vous parliez tout à l’heure. — Sans doute, il y en a de deux sortes. Les unes sont des pierres à moudre, qu’on tire de Sertignage et de Moûtisce, dont on fait des meules de moulin, et ces meules tournent d’elles-mêmes pour faire la farine. De là vient qu’on dit proverbialement, dans ce pays-là, que les grâces viennent de Dieu, et les bonnes meules de Moûtisce. Ces pierres à moudre sont en si grande quantité que les habitants de ce pays n’en font pas plus de cas que des émeraudes. Celles-ci y sont si communes, qu’il y en a des montagnes plus élevées que le mont Morel. Elles jettent tant d’éclat, qu’il fait jour au milieu de la nuit. Qui ferait enchâsser ces pierres avant de les tirer de la carrière, et les porterait au Soudan, serait sûr d’en avoir tout ce qu’il voudrait. L’autre espèce de pierre précieuse qu’on trouve dans ce pays est celle que nous autres lapidaires appelons éliotropie. Elle a la vertu de rendre invisible quiconque en porte sur soi. — Il faut avouer, dit Calandrin, que ce pays est merveilleux. Faites-moi le plaisir de me dire, continua-t-il, si l’on ne trouve point ailleurs cette dernière sorte de pierre. — On en trouve aussi dans la Toscane, dans la plaine de Mugnon. — De quelle grosseur, de quelle couleur est-elle ? — Il y en a de toutes les grosseurs ; mais presque toutes sont de couleur noirâtre. »

Calandrin, ayant bien retenu tout ce que Macé lui avait dit de la nature de ces dernières pierres, et se faisant mille félicités chimériques s’il pouvait en trouver, se retira résolu d’en chercher. Mais, ne voulant rien faire sans ses amis Lebrun et Bulfamaque, il les chercha en diligence pour leur communiquer sa découverte et son projet. Après avoir couru toute la matinée pour les joindre, il se ressouvint, sur l’heure de midi, qu’ils travaillaient tous deux au monastère des dames de Fayence. Il alla les y trouver, négligeant toutes ses affaires pour cet objet. « Mes amis, leur dit-il, nous voilà les plus riches de Florence, si vous voulez vous en rapporter à moi. J’ai appris d’un homme digne de foi, que, dans