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autres, prononcées d’un ton aussi véhément et aussi dur que s’il eût été question de quelque épicurien qui eût nié l’immortalité de l’âme ou douté de l’existence de la Divinité, jetèrent la terreur dans l’esprit du prisonnier. Après avoir quelque temps rêvé sur sa situation, et avoir cherché quelque expédient pour adoucir la rigueur de sa sentence, il imagina de recourir à l’onguent de Plutus, et d’en frotter les mains du Père inquisiteur, ne connaissant pas de meilleur remède contre le poison de l’avarice qui ronge presque tous les ecclésiastiques, et les cordeliers surtout, sans doute parce qu’ils n’osent toucher d’argent. Quoique Galien n’ait point indiqué cette recette, elle ne laisse pas d’être excellente. Le bonhomme y eut recours, et fut dans le cas de s’en applaudir. L’onction produisit des effets si merveilleux, que le feu dont il avait été menacé se convertit en une croix. Il en fut revêtu ; et comme s’il eût dû faire le voyage de la terre sainte, et qu’on eût eu dessein d’en décorer sa bannière, on lui donna une croix jaune sur un fond noir. Après quelques pénitences peu rigoureuses, l’inquisiteur lui accorda sa liberté, à condition que, pour sa dernière pénitence, il entendrait tous les matins la messe à Sainte-Croix, et qu’à l’heure du dîner il viendrait se présenter devant lui jusqu’à nouvel ordre, et lui permit de disposer du reste du jour comme il voudrait.

Pendant que le pénitent remplissait exactement ce qui lui avait été prescrit, il entendit un jour chanter à la messe ces paroles de l’Évangile : Vous recevrez cent pour un, et posséderez la vie éternelle. Frappé de ce passage, il lui resta gravé dans la mémoire. Il vint à l’heure accoutumée se présenter au Père inquisiteur,