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il ne cessait de lui faire de petits présents et lui envoyait tantôt une botte d’ail frais, tantôt des oignons nouvellement cueillis dans son jardin, tantôt des petits pois et quelquefois un bouquet de fleurs. S’il la rencontrait quelque part, il la regardait du coin de l’œil, comme un chien qui en veut mordre un autre ; mais la paysanne, faisant semblant de ne pas s’en apercevoir et bien aise de paraître sauvage, passait presque toujours sans s’arrêter. Ce dédain chagrinait fort monsieur le curé. Il ne se laissa pourtant pas décourager par les froideurs de la belle. L’amour était trop enraciné dans son cœur, pour être en état d’y renoncer. Tel est le charme de cette passion qui nous plaît, lors même qu’elle nous rend malheureux. Un jour qu’il se promenait, ses mains derrière le dos et l’air pensif, le hasard voulut qu’il rencontrât Bientevienne, monté sur un âne chargé de différentes productions de son jardin. Il lui demanda où il allait. « Je vais à la ville, monsieur le curé, pour une affaire importante ; je porte ces fruits et ces légumes au seigneur de Bonacorci de Ginestret, pour l’engager à me traiter favorablement ; car vous saurez qu’il m’a fait donner une assignation par son coquin de procureur, juge des bâtiments, pour comparaître devant le tribunal civil. — Tu fais bien, mon cher ami, dit le curé, fort content dans le fond de son cœur ; Dieu te conduise, et reviens le plus tôt que tu pourras. Si tu rencontres par hasard Lapucio, mon clerc, ou Naldino, mon valet, je te prie de leur dire de m’apporter des attaches pour mes fléaux. » Bientevienne le lui promit, et continua son chemin.

Le prêtre crut que c’était là le moment favorable pour aller voir sa bien-aimée Belle-Couleur et pour faire une tentative auprès d’elle. Il courut droit à sa maison et dit en entrant : « Dieu veuille envoyer ici tous les biens qui sont ailleurs ! » La paysanne, qui était montée en haut, l’ayant entendu : « Soyez le bienvenu, monsieur le curé, lui dit-elle ; et où allez-vous donc ainsi traînant votre queue par le chaud qu’il fait ? — J’ai trouvé ton mari qui allait à la ville, répondit le pasteur, et je suis venu passer quelques instants avec toi. » Belle-Couleur, étant descendue, fît asseoir le curé et reprit son travail, qui consistait à trier de la graine de choux que son mari avait cueillie depuis quelques jours. Le curé, profitant du tête-à-tête, entama ainsi la conversation : « Il est donc décidé, ma chère amie, que tu veux toujours me faire souffrir ? — Moi, et qu’est-ce que je vous fais ? — Tu ne me fais rien à la vérité, mais n’est-ce pas assez de m’empêcher de faire avec toi ce que je voudrais ? — Est-ce que les prêtres font cela ? — Sans doute, et mieux que les autres hommes. Pourquoi donc ne le ferions-nous point ? n’avons-nous pas tout ce qu’il faut pour cette besogne ? nous y sommes même plus habiles que les autres, parce que nous le faisons plus rarement. Laisse-moi besogner avec toi ; je t’assure que tu t’en trouveras bien. — J’en doute fort ; car vous êtes tous avares comme des diables. — T’ai-je encore refusé quelque chose ? demande-moi ce que tu voudras, et sois