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votre voyage m’ayant été inutiles pour l’objet auquel je les destinais, je les rendis, le jour même de votre départ, à votre femme, qui les compta aussitôt devant moi ; ainsi, je vous prie de vouloir bien les rayer de votre livre. » Le mari, se tournant vers sa femme, lui demanda si elle les avait reçus ; et, comme elle voyait devant elle le témoin qui les lui avait vu compter, elle ne put le nier et s’excusa sur son peu de mémoire de ce qu’elle ne lui en avait point encore parlé. « Soyez tranquille, dit alors Gasparin à Gulfart, j’en déchargerai mon livre aujourd’hui, sans plus tarder. » Alors le galant se retira fort content d’avoir ainsi puni sa maîtresse de son avarice et d’avoir su adroitement jouir longtemps de ses faveurs, sans qu’il lui en eût coûté une obole. On imagine aisément combien la dame dut être sensible à un pareil tour.


NOUVELLE II

LE CURÉ DE VARLONGNE

Dans le village de Varlongne, qui, comme on sait ou comme on l’a ouï dire, n’est pas fort éloigné de la ville de Florence, il y eut un maître curé, vigoureux de sa personne et très-propre pour le service des dames. Ce bon pasteur, qui savait à peine lire, avait néanmoins le talent d’amuser ses ouailles et de les divertir le dimanche, au pied d’un orme, par ses contes et ses propos joyeux ; et, quand les maris s’absentaient, il savait visiter leurs femmes, auxquelles il donnait sa bénédiction, leur portant tantôt du gâteau, tantôt de l’eau bénite, et quelquefois des bouts de chandelle. Parmi les paroissiennes à qui il faisait ainsi sa cour, il n’y en avait point qui lui plût davantage que Belle-Couleur, femme d’un paysan connu sous le nom de Bientevienne de Mazzo. C’était à la vérité une bonne villageoise, dodue, fraîche, brunette, bien découplée, telle en un mot qu’il la fallait à monsieur le curé. Elle était d’ailleurs de la meilleure humeur du monde, toujours la première à la danse, chantant au mieux l’air d’une bourrée et jouant parfaitement du tambourin. Le curé en devint si fort amoureux qu’il faillit en perdre l’esprit. Il courait tout le jour, tantôt d’un côté, tantôt d’un autre, dans l’espérance de la voir. Quand il savait, le dimanche et les jours de fête, qu’elle était à l’église, il chantait de toutes ses forces pour lui persuader qu’il était grand musicien ; mais quand il n’y voyait point sa chère Belle-Couleur, il s’y prenait avec plus de modération. Cependant, quelque passionné qu’il fût, il sut si bien faire, que Bientevienne ni personne ne s’aperçut de l’amour qui le tourmentait. Pour se rendre favorable celle qui en était l’objet,