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pour la prier de payer d’un tendre retour les sentiments qu’elle lui avait inspirés, lui promettant de s’en rendre digne par son empressement à faire tout ce qui pourrait lui être agréable. La belle, après bien des façons, consentit à se rendre à ses désirs, à condition qu’il garderait un secret inviolable, et qu’il lui donnerait deux cents écus dont elle avait besoin.

Gulfart fut si choqué de l’avarice de la dame, dont il ne l’aurait jamais soupçonnée, que peu s’en fallut que son amour ne se changeât en aversion ; cependant il se radoucit, et résolut de la tromper. Dans cette idée, il lui fit dire qu’il était prêt à faire ce qu’elle désirait, qu’il voudrait être plus riche pour lui offrir une plus forte somme ; qu’elle n’avait qu’à l’instruire du jour et du moment auxquels il pouvait aller la trouver, et qu’il lui remettrait l’argent qu’elle lui demandait. Cette femme méprisable lui manda que son mari partait bientôt pour Gênes, et qu’elle ne manquerait pas de l’envoyer chercher le jour même de son départ.

Gulfart, sachant que Gasparin devait bientôt faire ce voyage, se hâta de l’aller voir. « J’aurai besoin, lui dit-il, de deux cents écus, et vous m’obligerez sensiblement de me les prêter, au même intérêt que vous m’avez toujours prêté jusqu’à présent. » Gasparin lui rendit ce service avec plaisir, et compta la somme sur-le-champ, à la grande satisfaction du militaire.

Quelques jours après, le négociant partit pour Gênes. Sa femme envoie dire aussitôt au galant qu’il pouvait venir et qu’il n’oubliât pas d’apporter la somme convenue. Gulfart, qui avait intérêt de trouver la belle en compagnie, et qui craignait qu’elle ne fût toute seule, se fit accompagner par un de ses amis et lui dit, en la présence de cet ami et d’un commis qui était avec elle dans ce moment : « Voilà, madame, deux cents écus bien comptés que je vous prie de remettre à votre mari quand il sera de retour de son voyage. » Elle les prit, sans entendre d’autre malice aux paroles de Gulfart, si ce n’est qu’il avait parlé ainsi par pure politique et pour qu’on ne soupçonnât pas que cet argent était le prix qu’elle avait mis à ses faveurs. C’est pourquoi elle lui répondit qu’elle ne manquerait pas de s’acquitter de la commission à l’instant même de son arrivée. « Mais voyons, ajouta-t-elle, si la somme est complète. » Elle se met aussitôt à la compter sur une table ; et voyant qu’il n’y manquait pas une obole, elle la remit dans le sac et dit ensuite tout bas à Gulfart de repasser sur la brune, parce qu’elle serait seule. Il n’y manqua pas ; et la belle l’ayant conduit dans sa chambre, ils passèrent la nuit ensemble. Le galant ne s’en tint pas à cette nuit-là ; il sut engager madame Ambroise à partager plusieurs autres fois son lit avec lui pendant l’absence de son mari.

Quand celui-ci fut de retour à Milan, Gulfart saisit le moment qu’il était avec sa femme pour entrer chez lui, accompagné de son ami. « Gasparin, lui dit-il après les premiers compliments, les deux cents écus que vous me prêtâtes avant