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quelle peine on lui avait fait souffrir pour avoir eu commerce avec elle. « Dès que je fus arrivé dans l’autre monde, je me trouvai vis-à-vis d’un esprit qui savait, je crois, tous mes péchés, et qui me conduisit à un certain lieu pour les expier, où je trouvai force compagnons de misère. Étant ainsi mêlé parmi eux, et me souvenant de ce que j’avais fait avec ma commère, j’attendais à tout moment une punition plus forte. Quoique je fusse alors au milieu d’un feu très-vif, la peur me faisait trembler. Un esprit me voyant dans cet état : — Qu’as-tu donc fait plus que les autres pour trembler ainsi ? — J’ai peur, lui dis-je, d’être puni d’un grand péché que j’ai commis. — Quel est ce péché, poursuivit-il, qui t’effraye tant ? — C’est d’avoir couché avec une de mes commères, et d’y avoir couché si souvent, que j’y ai laissé la peau. — Tu es un grand sot, répliqua l’esprit en se moquant de moi : tranquillise-toi, et sois sûr qu’on ne tient aucun compte ici-bas de ce qu’on fait là-haut avec les commères. »

Après ces mots, Tingusse, voyant que le jour commençait à poindre, prit congé de son ami, et disparut comme un éclair.

Meucio ayant appris qu’on ne demandait point compte, dans l’autre monde, de ce qu’on fait dans celui-ci avec les commères, rit de la simplicité qu’il avait eue d’en avoir autrefois épargné plusieurs par délicatesse de conscience, et se promit bien de réparer sa sottise à la première occasion qui s’en présenterait.

Si frère Robert, dont on nous a parlé, eût su cela, il n’eût pas eu besoin d’étaler tant de rhétorique pour convertir sa bonne commère ; il l’en aurait instruite, et dès lors elle n’eût plus fait tant de difficultés pour lui accorder ses faveurs.