Page:Boccace - Contes de Boccace, trad De Castres, 1869.djvu/450

Cette page n’a pas encore été corrigée

elle, fait voir de si vilaines choses, je ne veux pas qu’il me nuise davantage, ni à aucune autre femme. » Puis, s’adressant à Pirrus : « Va chercher une cognée et jette-le à bas pour le brûler ; quoiqu’il serait beaucoup mieux d’en donner sur la tête de mon mari, pour lui apprendre à mieux penser de la fidélité de sa femme et de la tienne. Oui, monsieur, continua-t-elle, vous mériteriez d’être châtié pour l’injustice que vous m’avez faite. Je ne reviens point de votre aveuglement. Quand il s’agit de mal penser de votre femme, vous ne devez pas en croire vos yeux. »

Pirrus, ayant pris une hache, abattit incontinent le poirier. Alors la belle, se tournant vers Nicostrate : « Puisque je vois à terre, lui dit-elle, l’ennemi de ma vertu, je perds toute espèce de ressentiment. Je vous pardonne, ajouta-t-elle avec douceur, et vous recommande, sur toutes choses, d’avoir désormais une meilleure opinion de votre femme, qui vous aime mille fois plus que vous ne méritez. » Le mari s’estima trop heureux de ce que sa femme voulut bien oublier l’outrage qu’il lui avait fait. Il fit des excuses à Pirrus d’avoir soupçonné sa bonne foi ; et tous les trois satisfaits, ils rentrèrent dans le palais.

C’est ainsi que ce bon mari fut maltraité, trahi et plaisanté par sa femme. Dès ce jour elle vécut familièrement avec Pirrus, qui lui fit souvent goûter les plaisirs de l’amour avec plus d’agrément et de liberté qu’ils n’en avaient eu sous le poirier.


NOUVELLE X

LE REVENANT

Il y eut autrefois dans la ville de Sienne deux jeunes gens liés d’une si étroite amitié qu’ils étaient presque toujours ensemble : le nom de l’un était Tingusse Mini, et celui de l’autre était Meucio de Ture. Ils demeuraient tous deux près de la porte Sabaye. Comme ils vivaient bourgeoisement, ils fréquentaient les églises et ne manquaient pas un sermon. Ayant entendu prêcher plusieurs fois sur les plaisirs et les peines de l’autre vie, selon qu’on avait bien ou mal mérité dans celle-ci, et ne pouvant s’en former une juste idée d’après les divers sentiments des prédicateurs, ils se promirent un jour, avec serment, que le premier qui mourrait viendrait informer l’autre de ce qui en était. Après cette promesse mutuelle, ils continuèrent de vivre dans la plus grande intimité.

Il arriva sur ces entrefaites qu’une certaine dame Mitte, femme d’un nommé