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il sortit de la chambre et alla se jeter sur son lit. Sa femme, sans perdre de temps, envoya la dent à Pirrus. Celui-ci, ne pouvant plus douter des sentiments de sa maîtresse, lui fit dire qu’il était prêt à faire tout ce qu’elle désirait.

La belle, qui brûlait de lui donner de plus fortes preuves de son amour, et à qui les moments paraissaient des années, n’avait plus qu’à trouver le moyen de satisfaire sa passion en présence de son mari. Elle feignit pour cet effet d’être indisposée. Sa femme de chambre instruisit Pirrus du personnage qu’il devait jouer. Il alla voir madame à l’heure de l’après-dîner, où le mari devait se rendre auprès d’elle. À peine y furent-ils arrivés l’un et l’autre, qu’elle témoigna une grande envie de prendre l’air du jardin, et les pria tous deux de vouloir l’y conduire. Nicostrate la prit d’un côté, Pirrus de l’autre, et ils la menèrent ainsi au pied d’un beau poirier, où ils s’assirent tous trois sur un tapis de verdure. Quelques moments après, il prit fantaisie à la belle de manger des poires. Elle prie Pirrus de monter sur l’arbre pour lui en cueillir des plus mûres. Le galant obéit, et n’est pas plutôt monté sur le poirier que, feignant de voir son maître caresser sa femme, il s’écrie : « Eh ! quoi, monsieur, en ma présence ? mais vous n’y pensez pas ; et vous, madame, n’avez-vous point de honte de vous prêter à un pareil jeu ? Certes, vous avez été bientôt guérie. Mais, finissez donc ; ce sont des choses qu’on ne doit pas faire devant témoins : les nuits ne sont-elles pas assez longues ? faut-il venir au jardin pour une semblable besogne ? n’avez-vous pas assez de chambres, assez de lits plus commodes ? — Que veut-il dire, dit la femme à son mari ? a-t-il perdu l’esprit ? — Non, madame, je ne suis point fou, je vois fort bien ce que je vois. — Tu rêves assurément, lui dit Nicostrate, qui riait de son idée. — Je ne rêve point du tout, monsieur, et il me paraît que vous ne rêvez pas non plus. Mais si vous n’avez point d’égards pour moi, vous devriez au moins en avoir pour vous-même et vous éloigner un peu plus, si tant est que vous désiriez vaquer à un tel exercice. Peste ! comme vous vous remuez ! je ne vous aurais jamais soupçonné une si grande vivacité. Si j’agitais aussi fort le poirier, je doute qu’il y restât une seule poire. — Que peut donc être ceci ? dit alors la dame ; serait-il possible qu’il lui parût que nous faisons ce qu’il dit ? En vérité, si je me portais mieux, je monterais sur l’arbre, pour voir ce qu’il croit voir lui-même. — Soyez sûre, madame, ajouta Pirrus, que je n’ai point la berlue, et que ce que je vois n’est point une illusion. — Eh bien ! descends, dit le mari, descends, te dis-je, et tu verras ce qu’il en est. — J’avoue, dit Pirrus, quand il fut descendu, que vous ne vous caressez point à présent ; mais il n’est pas moins vrai que vous le faisiez tout à l’heure, et que je vous ai vu, comme je descendais, vous séparer de madame, et vous mettre à l’endroit ou vous êtes maintenant assis. — Mais tu rêves, mon pauvre ami, dit Nicostrate : depuis que tu es