Page:Boccace - Contes de Boccace, trad De Castres, 1869.djvu/441

Cette page n’a pas encore été corrigée

si tu prends quelque intérêt à ma tranquillité et à ma vie, tu lui feras savoir, de la manière que tu jugeras la plus convenable, les sentiments que j’éprouve pour lui, et tâche de l’engager à me venir trouver toutes les fois que tu l’en prieras de ma part. »

La femme de chambre promit ses bons offices à sa maîtresse et ne tarda pas à s’acquitter de sa commission. Le jour même, elle trouva l’occasion de parler à Pirrus tête à tête, et elle lui fit connaître les dispositions de madame Lidie le mieux qu’il lui fut possible. Le jeune homme, qui effectivement ne s’était point aperçu de la passion qu’il avait inspirée, fut fort surpris de cette déclaration : craignant qu’elle ne fût un piége pour l’éprouver, il répondit brusquement : « Je ne puis me persuader que ce que vous venez de me dire soit vrai : madame ne peut vous avoir chargée d’un pareil message ; mais, quand bien même vous m’auriez parlé par son ordre, je croirais fermement qu’elle veut plaisanter. D’ailleurs, son amour pour moi fût-il sincère, j’ai trop d’obligation à mon maître pour lui faire jamais une semblable injure ; ainsi, ne prenez plus la peine de m’en parler. » Lusque lui répondit, sans être étonnée de la dureté de son refus : « Quelque peine que je puisse vous faire, mon cher Pirrus, je vous en parlerai toutes les fois que ma maîtresse me l’ordonnera. Au reste, vous en ferez ce que vous jugerez à propos, mais j’avoue que je vous croyais plus d’esprit. »

Madame Lidie, instruite de cette réponse, en eut un chagrin mortel. Elle aurait voulu être morte, tant sa passion pour Pirrus la gourmandait. Elle craignait de ne pouvoir venir à bout de la satisfaire. Cependant, quelques jours après, elle parla encore de son amour à sa femme de chambre. « Lusque, lui dit-elle, tu sais bien qu’on n’abat pas un arbre du premier coup ; il faut que tu fasses une nouvelle tentative auprès de Pirrus, qui veut être fidèle à son maître à mes dépens. Épie le moment favorable, et peins-lui l’excès de mon amour et celui de ma douleur. Il n’est ni de mon intérêt ni du tien de lâcher prise ; car, outre que tu courrais grand risque de perdre ta maîtresse, Pirrus, s’imaginant que nous avons voulu nous moquer de lui, nous en saurait mauvais gré et pourrait nous jouer quelque mauvais tour. Parle-lui donc, ma chère Lusque, et tâche de le convertir. »

La confidente consola sa maîtresse, lui donna bonne espérance, et lui promit de s’y prendre de manière à vaincre toutes les difficultés. Elle ne tarda pas à rencontrer Pirrus, et le trouvant de fort belle humeur, elle profita de cette occasion pour le prendre en particulier. « Je vous parlai, il y a quelques jours, lui dit-elle, de la passion que vous avez allumée dans le cœur de madame ; je viens vous en donner de nouvelles assurances, et vous déclarer que si vous persistez dans votre ridicule indifférence, vous aurez à vous reprocher la perte de son repos, de sa santé et peut-être sa mort. Cessez donc, mon ami, d’être